L’ennui naquit un jour de l’uniformité… Ou de la conformité à l’American Dream, selon Laura Kasischke dont le roman Un oiseau blanc dans le blizzard est ici adapté par le décapant Gregg Araki.
Une vie trop étroite
Kat a 17 ans, un boy friend next door, une petite bande d’amis précieux et une famille étrange, froide. Un jour, sa mère, Eve, disparaît. Kat en est sûre, elle ne reviendra pas et ne semble pas plus affectée que cela par sa disparition.
Pourtant, sa mère lui était très dévouée. Comme à son mari, comme à sa famille, comme à son foyer et surtout comme à l’image impeccable de la femme américaine parfaite des années 1960 qu’elle croit qu’on attend d’elle. Mais, qu’elle n’arrive plus à tenir, face à un mari fadasse qu’elle méprise profondément.
Petite ambition
Cette disparition finit par perturber les rêves de Kat alors en pleine découverte de la vie, de sa sexualité et de son pouvoir de séduction.
A priori, White bird semble être un petit film. Rien d’explosif comparé aux fils précédents d’Araki – Mysterious skin, Kaboom– connu pour appuyer sur les perversions de la société américaine.
… mais grande révélation
Mais, cette plongée très 80’s -la bande son est excellente- dans une famille apparemment bien sous tous rapports, dont les dysfonctionnements subtils sont savamment dissimulées derrière les fenêtres de leur pavillon de banlieue, est d’une finesse de vue qui la rend à la fois extrêmement crédible et parfaitement dérangeante.
Sans sommation, sans porte voix, White Bird est en fait un des films les plus cruels sur la famille américaine et sur la place de la femme en son sein vus depuis bien longtemps. Aussi perturbant que Loin du paradis de Todd Haynes , mais avec une modestie qui lui donne une efficacité encore plus redoutable.
Duo d’actrices au top
Avec seulement quelques personnages tous savamment définis – même si le père et le boy friend sont plus caricaturaux – , Araki dresse un portrait au vitriol de cette société des apparences superbement interprété par Shailene Woodley, parfaite et par une Eva Green, épatante, d’une beauté renversante et d’une fragilité vacillante bouleversante. Depuis le temps qu’on vous dit qu’Eva Green est la meilleure actrice française de sa génération…
De Gregg Araki, avec Shailene Woodley, Eva Green, Christopher Meloni, Shiloh Fernandez…
Quand Thomas (Dylan O’Brien) débarque de son monte-charge rouillé au beau milieu d’un terrain vague, cerné par un labyrinthe géant (le Bloc), il est accueilli froidement.
Seuls au monde
Comme lui, une centaine de jeunes garçons sont arrivés un jour sans explication et en ayant perdu toute mémoire. Eux ont fini par se structurer en une société bancale, avec un leader et tous un tas de rôle plus ou moins définis.
Le nouveau venu est convaincu qu’il peut s’échapper… Il tente donc sa chance au cœur même du labyrinthe dont la forme évolue chaque nuit. Parviendra-t-il à trouver une issue ? Survivra-t-il à cet étrange mal qui menace ses compagnons ? Qui est donc le dernier arrivant? Pourquoi est-ce une fille la seule fille? ?
Rescapés
Dans la lignée des adaptations de littérature adolescente à succès, ce « Labyrinthe » est aux garçons ce que « Divergente » était aux filles : un thriller post-apocalyptique à sensation forte, où l’intelligence et le courage d’un seul servira la cause de tous.
Pourtant, et même si l’intrigue de départ crée un suspense réel tant le labyrinthe est inhospitalier et qu’il paraît impossible d’y échapper, le film ne captive pas jusqu’au bout. Comme si le récit du roman de James Dashner était trop riche et qu’en le simplifiant pour en faire un film, il en avait perdu sa singularité. L’ennui monte et le pourquoi du sort de ces garçons perdus et pourtant enthousiastes n’a finalement plus beaucoup d’importance…
De Wes Ball, avec Dylan O’Brien, Thomas Brodie-Sangster, Kaya Scodalerio…
Trois ans après Intouchables (plus de 19 millions d’entrées en France), le trio Omar Sy, Eric Toledano et Olivier Nakache est de retour avec Samba. Avec de nouvelles têtes à leur côté et un sujet grinçant.
Sylvie Ohayon : « Aie une belle vie. Ce sera ta meilleure revanche »
Grandie à la Cité des 4000 de La Courneuve sans père mais dans une vraie famille juive, violentée et insultée par son beau-père, Sylvie Ohayon s’en est sortie grâce à son goût des mots, des livres et des études. Après une riche carrière dans la pub, elle écrit l’histoire de son enfance « Papa was not a Rolling Stone » , son premier livre publié en 2011, qu’elle adapte aujourd’hui en film.
Pourquoi ce titre ?
Dans la pub, je faisais tout le temps des titres. Mais,quand il a fallu titrer mon livre, j’étais bloquée. Un ami m’a dit : « ton père, c’était pas un Rolling Stone ! ». Et c’est le moins qu’on puisse dire ! Non seulement il m’était inconnu, mais il n’était pas rock n’roll.
Il n’y a pas de référence à la chanson des Temptations?
Si, on l’entend au début du film…
Je veux dire aux paroles de la chanson : un enfant demande à sa mère pourquoi il n’a jamais vu son père, un bad boy dont on comprend en sous-texte qu’il était en prison ?
Euh… Si, bien sûr, je le disais dans le livre que mon père était un prisonnier au long cours…
Est-ce que votre film est aussi autobiographique que vous le revendiquez ?
La réalité était plus intense, donc moins crédible. Oui, c’est mon histoire que j’ai criée, expulsée quand j’étais au plus bas, en plein divorce et sans boulot. C’est mon second mari qui m’a poussée à « cracher mon histoire en la camouflant sous le désinfectant roman ». Ca a été salvateur.
Pourquoi en faire un film ?
Quand j’ai fini de l’écrire, je suis allée voir Stella de Sylvie Verheyde, un film qui m’a bouleversée. Je lui ai envoyé mon manuscrit pour qu’elle le lise et s’il lui plaisait, qu’elle adapte au cinéma. Elle a accepté de m’aider mais pas de le réaliser. Et m’a dit que j’étais folle de vouloir confier mon histoire à quelqu’un d’autre. Elle a participé au scénario, au casting et je l’ai appelé tous les soirs du tournage…
Elle vous a donné des conseils techniques ?
Elle m’a surtout aidée à révéler mes sentiments et mes émotions. Elle m’a appris à lâcher prise, à laisser couler la sève et le sang. La technique est un faux problème. Il faut surtout un point de vue et de la volonté. J’ai tenu à tourner en 35mm, à l’ancienne, sans caméra numérique, comme dans les années 1980 durant lesquelles le film se passe.
A ce propos, la reconstitution des 80’s est très bien faite, mais pourquoi vos personnages parlent-ils comme aujourd’hui?
Pas du tout ! J’ai un rapport tellement fort à la langue –j’en parle dans mon deuxième livre d’ailleurs – que je peux vous assurer que toutes les expressions utilisées l’étaient à l’époque. A la Courneuve, on disait déjà relou, rebeu, mytho, mythologue. Chez nous, la langue était plus libre, plus fleurie. Ces mots se sont diffusés et ont ensuite été rattrapés par Paris, comme le Verlan dans les années 1960.
Est-ce qu’être une fille a été une chance dans votre parcours ?
C’est difficile à dire. Je sais que dans la pub, j’ai vraiment été recrutée sur mon cul. Ca a été une claque, moi qui avais tout misé sur mes diplômes ! Mais, je ne suis pas sûre qu’en banlieue, il y ait un déterminisme sexuel. Kamel –Ouali – s’en est bien sorti par la danse.
On a finalement peu de témoignages de fille sur la vie en cité.
Moi, j’ai surtout tenu à montrer des filles qui font des études, qui ont une sexualité normale, qui tombent amoureuses. A mon époque, les rebeu, les juives, les autres, on portait de shorts, on chantait dans la rue. C’est vrai qu’il ne fallait pas dire qu’on couchait, les filles se faisaient recoudre, mais on avait le droit d’aimer. Aujourd’hui, c’est plus compliqué : tout s’est radicalisé et paupérisé. Le voile a fait son apparition, des migrants qui ne parlent pas français sont arrivés. Or, la langue était notre lien intercommunautaire.
Retournez-vous à la Courneuve ?
Souvent ! J’en suis partie à 26 ans. Mais, je vais voir ma mère et ma grand-mère tous les week-ends et je suis restée amie avec mes copines d’enfance.
En revanche, vous dîtes qu’avoir grandi sans père a été une chance.
Du coup, je n’ai pas eu de limite. Je n’ai pas eu de figure d’autorité. J’ai bâti mes propres cadres, qui sont très cohérents avec ce que je suis vraiment.
Vous n’aviez pas de père, mais bien un beau-père. Atroce en plus.
Oui, il était violent, me tapait et m’insultait tout le temps. Mais, ça glissait sur moi, parce que justement, ce n’était pas mon père. Et avoir lu Fitzgerald m’a sauvée : « Aie une bonne vie, ce sera ta meilleure revanche »
Justement, tendez-vous la main à ceux qui comme vous voudraient échapper à leur condition ?
Ecrire des livres, c’est déjà tendre la main. La seule chose que j’enseigne, c’est que quand on te fout à terre, il faut te relever. Avance, donne-leur tort. Fitzgerald, encore. La vengeance n’est jamais gagnante, la revanche, si.
En quatre ans, vous avez écrit trois livres, réalisé un film. Et maintenant ?
J’ai un contrat pour adapter mes deux livres, Les Bourgeoises et Bonne à (re)marier, au cinéma. En janvier, sort mon quatrième livre, L’une contre l’autre, une fiction qui parle du racisme anti-français dans les cités et j’ai déjà commencé à écrire le cinquième.
Pour leur cinquième anniversaire de mariage, Amy et Nick Dunne sont loin d’être à la fête. Leur couple bat sérieusement de l’aile. Le temps de s’épancher auprès de sa soeur en buvant un café, et Nick découvre en rentrant chez lui que sa femme a disparu.
Rétro passionnant
Pendant que la police enquête, et par un savant jeu de flash-backs désynchronisés, sa femme raconte leur vie commune, depuis leur rencontre coup de foudre, leur image de couple idéal jusqu’au délitement de leur mariage. Nick pourrait-il l’avoir tuée? Tout semble l’indiquer…
La vraie bonne idée de ce film, adapté des Apparences de Gillian Flynn, qui signe elle-même le scénario en en ayant semble-t-il radicalement modifié la fin, est d’avoir fait du mariage le centre même du thriller. Immédiatement, tous les éléments sont posés. Il y a un bon, un voire des méchants, un twist et un superbe point de départ : on n’épouse jamais celle ou celui qu’on croit. Evidemment, cette proximité, cette universalité du propos font qu’on adhère immédiatement au sujet du film.
Chercher le mobile
En revanche, et malgré un bon méchant, bien cerné et vraiment odieux, gage de la réussite et du suspense selon le maitre Hitchcock, il manque malheureusement un motif indiscutable. On suit donc pendant 2h30 les soubresauts d’un couple à la dérive, en changeant à mi-course radicalement de point de vue en se demandant constamment : mais pourquoi agissent-ils ainsi? Qu’est-ce qui les pousse, les motive?
Une telle faiblesse – la folie, la rancoeur, la psychopathie ne pouvant pas tout expiiquer – affadit d’emblée ce film, qui soufre en plus, de quelques invraisemblances, surtout dans sa seconde partie : un meurtre non puni, même pas enquêté; un témoin croisé puis oublié…
Un montage innovant
En revanche, David Fincher scrute ici à la loupe la société américaine et son manichéisme spontané: l’hyper-médiatisation qui définit d’emblée les bons et les méchants, qui condamnent sans savoir et sans jamais se poser de question est montré avec une insistance qui pourraient même flirter avec la lourdeur.
Sa réalisation, comme toujours froide mais élégante, sied parfaitement au thriller et valorise ses deux principaux interprètes irréprochables : Ben Affleck et Rosamund Pike. Mention spéciale au montage inventif, qui malgré les flash-backs non chronologiques et les ellipses, garde une parfaite fluidité au récit en lui donnant un relief inédit.
De David Fincher, avec Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris, Tyler Perry, Carrie Coon…
Bienvenue à Dorothy Malherbe, la nouvelle plume de Cine-Woman. Jeune, dynamique et passionnée, Dorothy dirige le cinéma Etoile Cosmos de Chelles (77) et anime depuis 10 ans le Ciné Meaux Club. Une experte qui a collaboré à la revue Cinéastes et se dit fan de Kate Winslet, de Cary Grant, de Colin Firth et… de Prince!
Avec son oeil très avisé, elle a sélectionné 8 films à voir d’ici Noël et à ne rater sous aucun prétexte.
Prix du jury au Festival de Cannes 2014, le film plonge dans un état émotionnel assez excitant. Véritable tornade que ce portrait amer et tendre d’une mère célibataire, veuve, chargée de veiller sur son fils, adolescent turbulent. Les héroïnes n’ont plus la « gueule » qu’on imagine mais elles ont de la gueule dans ce film. On décèle l’urgence fiévreuse, haletante de filmer chez ce tout jeune cinéaste, Xavier Dolan. Tant de talent à son âge, c’est presque indécent.
Sortie le 8 octobre 2014.
2) Geronimo de Tony Gatlif
Toutes les formats et toutes les formes lui siéent à merveille : la télévision (l’Ecole du pouvoir de Raoul Peck), le théâtre (Molly Bloom mise en scène par Laurent Laffargue) et le cinéma (L’Apollonide souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello). Céline Sallette interprète Géronimo, éducatrice chargée de contenir les violences d’un groupe de jeunes dans un quartier du sud de la France et se retrouve malgré elle prise en étau entre deux clans, entre coups de tête et coups de folie. Le cadre est nerveux, la musique enivrante et la fougue de Céline Sallette digne d’un « guerrier apache ».
Sortie le 15 octobre 2014.
3) Bande de filles de Céline Sciamma
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2014, le film a déjà fait couler beaucoup d’encre. Et on n’en attend pas moins de la brillante réalisatrice de Naissance de pieuvres et Tomboy. Moins porté sur l’ambiguïté sexuelle, Bande de filles s’attache néanmoins à filmer la naissance du désir et la manière de s’affranchir des interdits quand on a 17 ans. L’écueil serait d’envisager le film comme un énième opus traitant de la banlieue. Surtout pas. Une ode à la jeunesse, oui. A la complicité féminine. Un film qui regarde les jeunes filles se débattre contre les pressions extérieures, au moment le plus complexe de leur existence. Une lutte acharnée, fraîche et nécessaire. Un bijou.
Sortie le 22 octobre 2014.
4) Serena de Susan Bier
Duo d’acteurs désormais incontournable du cinéma américain, Jennifer Lawrence et Bradley Cooper (Happiness Therapy et American Bluff de David O. Russell) campent un jeune couple qui s’installe en Caroline du Nord pour y bâtir une grande entreprise de bois de construction. Ce n’est pas tant le drame intime qui se joue que de voir se débattre une femme dans un monde presque exclusivement masculin, sur fond de Grande Dépression. Et la Serena de la réalisatrice danoise, malgré son très jeune âge a l’envergure d’une grande.
Sortie le 12 novembre 2014.
5) Tiens toi droite de Katia Lewbowicz
Voilà un film sur les femmes à la fois moderne, drôle et touchant qui suit les trajectoires de Louise, Lili et Sam, trois « héroïnes » qui vont se rencontrer au détour d’une usine de fabrication de poupées, désireuses de donner un second souffle à leur existence. Un état des lieux de la condition féminine sans concession, parfois absurde mais bienveillant et tellement rafraîchissant.
Sortie le 26 novembre 2014.
6) La Belle jeunesse de Jaime Rosales
Présenté à Un Certain Regard- Cannes 2014, le film montre une jeunesse désœuvrée, qui a choisi la pornographie pour survivre. Comme dans ses précédents films, Rosales filme la violence sociale derrière la porte, pose un regard, dans une approche humaniste sur l’Espagne moderne et l’interroge sur ce qu’elle a à offrir à ses générations futures. Avec un sens esthétique abrupt et sans artifice, c’est toute l’histoire d’un pays en crise qui se déploie comme un splendide paravent. Et un cinéaste qui soigne autant la forme que le discours est forcément passionnant.
Sortie le 10 décembre 2014.
7) Coming home de Zhang Yimou
Présenté hors compétition à Cannes 2014, Zhang Yimou filme un sujet qu’il connait bien : les femmes et la guerre. Victimes ou traitresses mais toujours au cœur du conflit. Il tient de nouveau dans le viseur le visage lisse et immaculé, taillé dans le jade, de sa muse et épouse, Gong Li, dans ce drame centré sur la révolution culturelle chinoise et sur l’amnésie d’une femme qui attend toujours le retour du front de son époux. Pure poésie.
Sortie le 10 décembre 2014.
8) La Famille Bélier d’Eric Lartigau
S’il fallait nommer LE carton de cette fin d’année, c’est celui-ci. Pas la peine de résister, d’intellectualiser, vous vous ferez cueillir, vous aussi. Enfin une comédie qui a le mérite de se moquer des standards avec brio et de les réinventer. La principale réussite du film réside dans son audace à parler du handicap en en faisant une force. Dialogues ciselés, personnages secondaires taillés sur mesure, la Famille Bélier sera la douceur à croquer avant les fêtes. Un film qui fait à la fois rire et verser une larme a forcément tout bon.
The Tribe est un film comme vous n’en avez jamais vu, une expérience incroyable, puissante, sombre aussi, dure, très dure. Mais, pour une fois, impossible de se perdre en conjectures : le film est visuel, totalement visuel et pourtant complètement parlant.
Un monde à part
The Tribe, la tribu, le clan, est un huis-clos ouvert sur un monde qui nous est fermé : celui des sourds-muets. Un jeune garçon, qu’on appellera Sergueï, arrive dans un internat spécialisé pour y vivre.
On est en Ukraine, dans une partie austère de Kiev, un quartier typique de ces villes de l’Est, aux immeubles en piteux état, aux couleurs froides où l’on sent que n’importe quoi peut y arriver. Sans état d’âme.
Un monde cruel
Sergueï débarque et doit trouver sa place dans cet établissement aux codes bien établis : un groupe a imposé son diktat, organise trafics en tous genres, prostitution, et fait régner son ordre à grands coups d’humiliations ou de claques dans la gueule.
Bref, pour gagner ses galons, sa place ou plus simplement un lit pour dormir, Sergueï doit le mériter. Il est costaud, Sergueï et suffisamment intelligent pour s’imposer. Mais, c’est aussi un cœur sensible, va tomber amoureux d’Anna, une jeune ambitieuse qui se prostitue et envisage un avenir meilleur, à l’Ouest.
Un monde du silence
Une histoire d’amour adolescente dans un contexte différent, ce n’est que ça The Tribe. Pas du tout ! Car, en plus d’être frontal, dur, de n’esquiver à l’image aucune des épreuves que subissent ces jeunes gens et même les plus insupportables, – une scène d’avortement filmé en plan séquence, plein cadre et qui dure un temps infini, est un vrai choc – , le film est entièrement muet, en langage des signes et sans aucun sous-titres.
Du coup, on ne le comprend que par l’image et par quelques bruitages. D’ailleurs, même si les protagonistes sont très bavards (mais, à moins de comprendre le langage des signes, rien n’est compréhensible), leur monde est incroyable feutré, plus que dans la réalité où les signe s’accompagnent souvent d’onomatopées, de claquements de langue, de doigts, de soupirs, bref de bruits corporels que le réalisateur n’a pas gardés.
Autre bémol, mineur mais réel, certains plans séquences, notamment sur des conversations dont on comprendra la teneur plus tard, sont longs, très longs.
Un film multi-primé
Sombre, noir, violent, The Tribe, premier film signé Myroslav Slaboshpytskiy, n’en reste pas moins une expérience très forte, inédite. Un coup de poing sans concession, un coup de force qui a lui a valu de remporter le Grand Prix Nespresso, le prix Révélation France 4 et l’aide de la Fondation Gan à la Semaine de la critique de Cannes 2014, et une superbe carrière en festival.
De Myroslav Slaboshpytskiy, avec Grigory Fesenko, Yana Novikova, Rosa Babiy…
Comment un film contemplatif japonais du XXième siècle peut-il avoir une telle résonance avec un poème français du XVIIe siècle de Pierre de Marbeuf (cf.ci-dessous)?
De mer et de mère
Naomi Kawase signe ici, dans un style pur et avec des images magnifiques, une véritable ode à l’amour et à la mer, à l’amer de l’amour, en mettant en scène une adolescente qui perd sa mère au moment où elle devient une femme et découvre la vie.
Still the water, comme son titre l’indique, parle de mer. Le film débute sur une plage où a échoué un cadavre, un homme au dos tatoué. A cause de lui, la plage est interdite le temps de l’enquête. Ce dont Kyoko se fout éperdument, elle qui a pris l’habitude de nager toute habillée en rentrant de l’école.
L’âge des possibles
Qui est donc cet homme? On l’apprendra incidemment, et finalement, cela n’a pas grand importance, le film ne maniant absolument pas le suspens. Non, ce qui passionne Kawase, c’est justement comment cet événement, comme d’autres bien plus nombreux et encore plus signifiants, vont pousser Kyoko et son jeune amoureux Kaito à devenir adultes.
Et comme tous deux ont une lourde histoire – la mère de Kyoko est gravement malade et sa fille va l’accompagner jusqu’à son dernier souffle, les parents de Kaito sont divorcés et il a besoin de se confronter à son père, qui vit à Tokyo, pour mieux comprendre la vie de sa mère -, Naomi Kawase va prendre le temps de filmer (à la perfection) leurs errances, leurs efforts pour se comprendre, les obstacles qu’ils devront dépasser pour enfin accepter de s’aimer.
Contemplatif
Navigant entre tradition millénaire et post-modernisme tokyoïte, la réalisatrice se complet dans une certaine contemplation un peu barbante avouons-le, malgré la rupture de rythme apportée par le segment filmé à Tokyo. La longue agonie de la mère est, elle, interminable, et cela, bien qu’on saisisse, à ce moment-là, toute l’ambition du cinéma de Kawase : celle de traiter de la mort, de la vie, de la mer et de la mère, et de l’amour aussi.
En revanche, la beauté des images et des acteurs, beauté qui n’est pas qu’esthétique mais dépasse largement le simple aspect physique, est à couper le souffle. Le contempler aujourd’hui à la lecture du poème de Marbeuf reste un délice voluptueux. Une expérience poétique de toute beauté.
De Naomi Kawase, avec Jun Yoshinaga, Nijiro Murakami, Tetta Sugimoto…
2014 – Japon – 1h58
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage, Et la mer est amère, et l’amour est amer, L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer, Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage, Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer, Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer, Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l’amour eut la mer pour berceau, Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau, Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux, Ton amour qui me brûle est si fort douloureux, Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
Longtemps, deux projets biographiques sur Yves Saint Laurent se sont téléscopés. Le premier, Yves Saint-Laurent, officiel voulu par Pierre Bergé et réalisé par Jalil Lespert, est sorti le 8 janvier 2014. Saint Laurent, le second, non autorisé, réalisé par Bertrand Bonello, est précédé d’une odeur de souffre et d’un buzz critique positif depuis sa sélection à Cannes. Alors?
1967-1976
Voulant à tout prix déroger à la règle du biopic classique, Bertrand Bonello a concentré son film sur dix années de la vie du couturier. De 1967 à 1976, une décennie qui aurait dû être prodigieuse. Saint Laurent a alors une petite trentaine, son talent est connu depuis longtemps et sa notoriété est au top. Mais, le succès commence à lui peser.
Profitant de la liberté que lui offre et sa réussite et son époque (on est en 1968), YSL commence à dévier : ses nuits deviennent plus belles que ses jours, ses paradis artificiels et ses amours interdites, décadentes. Il sort donc du droit chemin que lui a balisé Pierre Bergé pour se frotter à ses démons, à sa face sombre qui toutefois n’entraveront ni sa créativité, ni son talent de couturier.
Démons
Le film se vit donc comme une longue errance dans les méandres et les déviances de Saint Laurent (Gaspard Ulliel, convaincant), sans plus d’explications que ce qui est montré en images : la rigidité et la hiérarchie silencieuse d’une maison de couture, la cage dorée dans laquelle Pierre Bergé l’a enfermé et où il se déploie autant qu’il étouffe, ses nouvelles amitiés, plus libres, sa passion destructrice pour Jacques de Basher, ses pannes d’inspiration, au final toujours compensées par une créativité nouvelle…
Pourquoi se limiter à 1967-1976? Parce qu’elles signent « la rencontre entre l’un des plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre dont aucun des deux ne sortira intacte », pitche Bertrand Bonello. Ce parti pris était indéniablement passionnant, à condition qu’on le comprenne (mais si Bonello a un talent, c’est de très bien parler de ses films) et/ou que le réalisateur nous y fasse adhérer. Ce n’est jamais le cas. Saint Laurent était-il cet artiste maudit, incompris, au-dessus de la mêlée et dont le génie transpirait par tous les pores? Ou était-ce type corseté par sa vie organisée, qui rêve de faire exploser le carcan dans lequel il s’est lui-même enfermé?
Manque de tenue
Bonello ne se prononçant pas, les 2h30 que dure son film finissent par donner l’impression d’une vision linéaire, d’une exploration plutôt répétitive d’un homme certes touchant, doué, talentueux, aux prises à ses démons. Rien de plus, si ce n’est quelques scènes bien tournées, notamment toutes celles où apparaît Pierre Berger (Jérémie Renier). De là à penser que plus de contrainte aurait salutaire à Bonello…
Un conseil : voir Yves Saint-Laurent avant Saint Laurent (et surtout pas l’inverse), histoire de connaître la vie du couturier avant de plonger dans la face sombre de l’homme.
De Bertrand Bonello, avec Gaspard Ulliel, Louis Garrel, Léa Seydoux, Jérémie Renier…
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