Le 9e panorama du cinéma colombien a révélé son palmarès. Notre reporter Martine Rossard a préféré trois films de réalisatrices centrés sur l’humain, notamment sur la condition féminine et l’excision. Voilà son bilan.
Trois coups de coeurs
Portrait de la Colombie contemporaine, le 9ème Panorama du cinéma colombien a voyagé entre des destins personnels – la vie vie après la lutte armée, le quotidien âpre d’un jeune paysan et la persistance des traditions de communautés autochtones et leurs conséquences. Bilan en trois coups de coeur d’un festival au programme copieux et varié.
L’excision en question
Injustement ignoré par le palmarès, le documentaire Biabu chupea : un grito en el silencio (un cri dans le silence) de Priscilla Padilla, est un coup de cœur et de poing. La réalisatrice nous révèle – par la voix des victimes – la pratique encore courante de l’excision du clitoris des petites filles, sous couvert de « soins », dans la communauté autochtone Embera-Chami au nord de la Colombie.
« Mon corps souffre, la terre souffre », chante Luz, qui, adulte, a quitté son territoire après avoir appris qu’elle avait été mutilée à sa naissance, avec l’accord ou à la demande de sa famille. Exilée à Bogota, la capitale, elle vend des colliers de perles dans la rue pour survivre tout en restant fidèle aux traditions spirituelles et culturelles de son village. Dans une démarche empruntant tant à l’ethnographie qu’à la sociologie, Priscilla Padilla parvient à faire parler des membres de la communauté sur cette pratique généralement tue ou abordée à demi-mot. La vision de son film génère un fort sentiment de révolte. « Si le clitoris n’est pas supprimé (au couteau ou avec un clou chauffé), il se développera comme un pénis », croient pouvoir affirmer certains.
Généralement, les hommes veulent épouser une femme sans clitoris. L’un d’eux avoue qu’il n’aimerait pas voir son épouse exprimer son désir lors de la relation sexuelle. Le dilemme pour les femmes est clair : avoir un mari ou un clitoris. Elles en parlent avec beaucoup de pudeur. Mais la réalisatrice sait les faire témoigner. « C’est mal de regarder son corps ou de le toucher ou pire de le montrer, même à son mari », lance l’une d’elle. Une autre résume que l’ablation de la « petite chose » est une malédiction lancée par les envahisseurs espagnols au 16eme siècle avec la traite des Noirs venus d’Afrique où l’excision existait déjà. Et existe encore !
Au 21ème siècle, les conséquences souvent désastreuses de l’excision sur la santé physique et mentale des filles et des femmes, leur épanouissement sexuel, l’accouchement et la vie de leurs bébés sont bien connus. L’excision, considérée comme violation des droits humains, concernerait pourtant actuellement, selon les Nations Unies, quelque 200 millions de femmes. La sensibilisation des esprits semble timidement en marche dans la communauté Embéra-chami. Dans le village de Luz, le film montre le rôle pédagogique de la sage-femme locale qui lance des rencontres entre femmes pour favoriser la prise de conscience.
Des films au fort contenu politique
Le documentaire brésilien Chao de la réalisatrice Camila Freitas, présenté en section parallèle, montre de très près une révolte parvenue à maturité mais pas toujours victorieuse. Le Mouvement des sans terre (MST) occupe des terrains laissés en friches pour favoriser une utilisation collective par des familles paysannes démunies. Grâce au film, on découvre les militants et militantes dans leurs actions volontaristes mais non violentes de revendications, d’occupation et d’exploitation de terres rendues à l’agriculture, de distribution de leurs produits aux citadins proches pour les convaincre du bien-fondé de leur action. Au tribunal, leur avocat oppose au poids des gros propriétaires le droit à la terre pourtant garanti par la constitution brésilienne. Après la présentation de son film, très bien accueilli par la salle, Camila Freitas a raconté avoir tourné pendant quatre ans avec le MST de Santa Eelena, dans l’Etat de Goais, exemplaire par sa détermination et sa volonté de fonctionner démocratiquement.
Un autre documentaire, colombien, et primé au palmarès, a retenu notre attention : Entre fuego y agua du duo Viviana Gomez Echeverry et Anton Wenzel. Il suit Camilo, jeune adulte d’origine africaine déterminé à retrouver ses parents biologiques aidé par sa famille adoptive qui l’a recueilli tout petit. Au milieu de paysages superbes, nous découvrons la vie quotidienne, l’isolement, la précarité de la communauté autochtone Quillasinga au bord du lac nourricier de La Cocha, dans le nord de la Colombie. Mais aussi ses rites, ses délibérations collectives. Un riche aperçu d’une culture que semblent menacer les mœurs citadines, l’essor du tourisme, la drogue…
Le palmarès du 9e Panorama du cinéma colombien
Le jury longs métrages était constitué de la réalisatrice colombienne Catalina Villar, et des programmateurs Virginie Pouchard et Arnaud Hée. Un compétition courts métrages était aussi organisée, soumise au regard d’un autre jury.
Longs métrages
Prix du jury ex-aequo :
- La perdida de Aldo de Sentido de Carlos E.Lesmes
- Entre fuego y Agua de Viviana Gomez Echeverry et Anton Wenzel
Prix du public
- La perdida de Aldo de Sentido de Carlos E.Lesmes