Avec Slalom, la réalisatrice Charlène Favier aborde le sujet tabou du harcèlement, notamment sexuel, dans le sport. Elle nous confie ses tops 5 de réalisatrices et d’actrices.
Les choix de Charlène Favier
Les femmes et le 7ème art, c’est une longue histoire mal connue. Pour l’honorer, Cine-Woman demande à tou.te.s les 5 films de femmes et les 5 rôles féminins qui les ont marqués. Charlène Favier, réalisatrice de Slalom, enfin en salle le 19 mai 2021 après avoir été reporté deux fois à cause du Covid, nous a confiés ses listes.
Comment une ex-sportive de haut niveau se retrouve-t-elle derrière une caméra ? Le parcours de Charlène Favier, productrice et réalisatrice de quatre courts-métrages et d’un documentaire avant Slalom, est original. Comme l’a été sa vie depuis son tout-début. C’est aussi ce qui dote son film d’une patte et d’un sujet singuliers même si le chemin pour y arriver n’a pas été de tout repos.
Le repos, Charlène n’en est pas une adepte. Enfant hyperactive, élevée par des parents fous de sport, elle grandit à cheval entre la station de ski de Val d’Isère où elle passe ses hivers et un bled de la région de Bourg-en-Bresse où elle construit des cabanes. A la maison, il n’y a pas de télé, un frère beaucoup plus âgé et de santé fragile, une mère artiste peintre et un père dingue de sports de glisse. Charlène s’éveille, s’élève avec la liberté des enfants de la campagne qui jouent toujours dehors et le cadre très contraint du sport de compétition (en judo, ski, ski nautique…) et de l’enseignement artistique souhaité par sa mère (la peinture, le piano,…). « Mon enfance particulière m’a poussée à développer mon imagination : j’adorais me déguiser et inventer des pièces de théâtre avec mes copains, se souvient-elle. Tandis que le sport m’a appris la pugnacité, à me relever de mes échecs et à me dépasser ». A l’âge de six ans, sa mère l’emmène voir La Strada de Federico Fellini. Et si Charlène Favier ne se souvient plus trop du contexte, elle est bouleversée par le film et attirée par l’univers du cirque qu’il met en scène. Incendies de Wadji Mouawad, qu’elle voit d’abord au théâtre, bien avant que cela devienne un film qu’elle adore, est un autre choc qui la construit. Tout comme les films de Jane Campion avec qui elle sent partager bien plus qu’une affinité.
Du ski au théâtre
« J’ai grandi écartelée entre le monde de la création et celui du sport, deux univers qui ne se rencontrent pas, explique-t-elle encore. A 15 ans, elle décide d’arrêter la compétition de haut niveau et de devenir comédienne. A 17 ans, elle passe un brevet d’état pour enseigner le ski, clôt ses études au lycée option théâtre et histoire de l’art et intègre l’école de théâtre Jacques Lecoq à Londres. Elle s’y forme au mime, au yoga, à l’acrobatie, « à l’incarnation d’un personnage par le corps. C’est une claque, une expérience sensorielle intense que j’ai vécu trop jeune. Mais, c’est là que j’ai compris que je voulais être metteuse en scène, pas actrice et que j’ai tout appris. J’en tire aujourd’hui ma méthode de direction d’acteurs. Pour moi, les comédiens doivent s’oublier totalement derrière le personnage. C’est comme ça que j’ai dirigé Noée Abita et Jérémie Rénier dans Slalom ».
Le choc est si intense que Charlène choisit de partir à l’aventure, seule avec son sac à dos, en Australie puis en Nouvelle Zélande. Pendant plusieurs années, elle y enchaîne les petits boulots tout en continuant ses expériences de vie. En Australie, elle s’installe à Byron Bay, une communauté hippie, idéaliste, où elle comprend qu’il lui faut filmer les gens qui l’entourent. «On ne me croira jamais sinon », dit-elle, en regrettant de ne pas l’avoir déjà fait à Londres. Au hasard des caméras qu’on lui prête, elle tourne, elle tourne… Quand elle finit par revenir à Bourg-en-Bresse à 24 ans, avec une valise pleine de cassettes aux formats différents, elle se bat pour en faire un documentaire, Is everything possible, Darling ?. « Ca a été tellement compliqué que j’en ai déduit qu’il fallait que je crée une société de production, Charlie Bus production, et qu’elle serait le meilleur moyen de continuer à me former en faisant », explique-t-elle. Son film est sélectionné en festival. Ce que l’encourage à s’en inspirer pour écrire une fiction courte, Free Fall. « Mes quatre courts métrages sont centrés sur un personnage féminin fort. J’ai compris que les écrire, les réaliser me permettait d’apprendre à me connaître… C’est aussi en les faisant que j’ai commencé à me constituer une équipe de cinéma avec Yann Maritaud, le chef op, ou Didier Ballivet, producteur, qui m’ont suivi sur Slalom ».
De l’école de la vie à la reconnaissance du sport comme du cinéma
Free fall a beau être acheté par France 2, cela ne comble pas les ambitions de Charlène et ne suffit pas à faire décoller sa carrière. Elle postule aux ateliers scénario de la Fémis où elle commence à écrire Slalom. « Je suis enfin devenue crédible », découvre-t-elle. Elle prend aussi conscience que c’est de sa vie dont elle parle. Et qu’elle ressent encore le besoin de filmer l’emprise, les abus que subit une jeune femme borderline qui se met en danger dans un dernier court Odol Gorri. « C’est une telle responsabilité que je devais être sûre que j’étais capable de raconter cette histoire dans un long métrage… tout en sachant que j’étais la mieux placée pour le faire », reconnaît-elle. Plusieurs producteurs dont Edouard Mauriat la contactent. Mais, la déferlante #Metoo n’a pas encore libéré la parole, ni l’écoute. Laura Flessel, la ministre des sports d’alors, est dans un déni complet malgré des dénonciations en cours, comme celles de la championne de tennis Isabelle Demongeot. Le film s’avère très difficile à produire, malgré la qualité d’un scénario écrit avec Marie Talon, en collaboration avec Antoine Lacomblez, le scénariste attitré de Jean-Xavier de Lestrade (3xManon, Laëticia…).
Quatre ans plus tard, Slalom est retenu par le Ministère des Sports pour être projeté dans toutes les fédérations de sport. Il fait même partie de son kit de sensibilisation à destination des entraîneurs. « Il semble que mon film soit un outil parfait pour accompagner le manuel de formation, car il met le doigt sur l’indicible. Des extraits sont projetés pour illustrer des situations précises et permettre de faire ressentir les incohérences et les contradictions de l’entraîneur comme celles de la victime », précise Charlène Favier. Certaines grandes institutions comme l’Olympique de Marseille ou la Ligue des Droits de l’Homme en sont partenaires avec le même objectif.
Charlène Favier, tout schuss
Slalom a donc un parcours exemplaire, à ceci près sa sortie en salle a été décalée deux fois. Il le sera enfin le 19 mai 2021, après avoir reçu le label Cannes 2020, été récompensé au Festival d’Angoulême ou aux Prix Lumières, été montré dans pleins de festivals ou être sorti aux Etats-Unis. « Malgré ce retard, je vis un vrai conte de fées et j’ai obtenu mon passeport pour réaliser un second long métrage », s’enthousiasme Charlène. Il sera dédié à Oksana Chatchko, la co-fondatrice des Femen, artiste haute en couleur suicidée à 31 ans, une idée que lui ont proposé deux producteurs, Marc Antoine Robert et Alice Girard. « Je vais donc continuer à soulever des problématiques qui me passionnent comme le féminisme, la liberté, la place des artistes et cela en correspondance avec mon parcours anticonformiste », conclut-elle. Gaumont l’a aussi sollicitée pour une série qu’elle écrit avec la romancière Estelle Surbranche, un thriller noir qu’interprétera Virginie Efira. La carrière de la réalisatrice est désormais sur la bonne pente.
Mes cinq films de réalisatrices préférés
1- Les chansons que mes frères m’ont apprises de Chloé Zhao (2015)
Pour son côté sauvage, l’horizon interminable ainsi que la liberté et la violence qui s’entrechoquent sans cesse.
2- La leçon de piano de Jane Campion (1993)
Mon film culte, celui qui hante mes nuits lorsque je perds pied. Celui qui me souffle de prendre ma caméra pour explorer les tréfonds de mon âme à la recherche d’universalité.
3- Point Break – Extrême limite de Kathryn Bigelow (1991)
Quel bonheur de retrouver le surf filmé par une femme dans un film de cinéma ! Bien plus qu’un sport, le surf c’est une philosophie, une religion voir une drogue… Celle qui me guérit et dont je ne peux pas me passer.
4- Le saut périlleux de Cate Shortland (2004)
Un film plein de délicatesse sur une ado en détresse qui s’affirme en se brûlant les ailes. Une histoire que je connais bien et qui me touche toujours autant…
5- Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (2019)
Je trouve que le désir naissant entre deux femmes est l’un des plus beaux moments de cinéma qui soit… Sans hésiter, un de mes derniers coup de cœur français !
Cinq prestations d’actrices inoubliables
1- Vicky Krieps dans Phantom Thread de Paul Thomas Anderson (2017)
La haute couture n’est pas dans les robes mais sur son visage… La moindre expression, le moindre sentiment est déployé avec une délicatesse et une subtilité éblouissante.
2- Gena Rowlands dans Une femme sous influence de John Cassavetes (1974)
Jouer l’amour, la rage, le bonheur et la tendresse avec autant de ferveur est un spectacle presque insupportable … et de fait, captivant !
3- Kerry Fox dans Intimité de Patrice Chereau (2001)
Elle porte en elle, avec le langage du corps, les plus belles scènes d’amour physique vues au cinéma …
4- Kim Hye-Ja dans Mother de Bong Joon Ho (2009)
Toute en contradiction, elle est fascinante de dévouement aveugle, de désarroi touchant et de force inébranlable.
5- Emily Watson dans Breaking the wave de Lars von Trier (1996)
Amoureuse fervente, empreinte d’un mysticisme unique, la puissance des émotions qu’elle véhicule est porté par un lyrisme pénétrant.