L’Interview de Catherine Béchard
Catherine Béchard est osthéopathe à Barcelone. Elle soigne des nouveaux-nés et de leurs mères, juste après l’accouchement. Elle a décidé de leur donner la parole dans son documentaire Loba. Et nous de l’écouter.
Catherine Béchard : « On abandonne l’accouchement naturel pour un accouchement industriel »
Catherine Béchard est osthéopathe à Barcelone. Depuis 25 ans, elle soigne de jeunes enfants et leur mère, traumatisés par l’accouchement. Une naissance particulièrement difficile ? Dangereuse? Pas du tout… Juste une naissance non respectée. En résumé, ces femmes rêvaient d’être mères naturellement, mais leur choix n’a pas été respecté. Et on leur a imposé un accouchement hyper-médicalisé dont elles ne voulaient pas. Catherine Béchard a décidé de leur donner la parole dans son documentaire Loba. Et nous de l’écouter.
Catherine Béchard, pourquoi avoir consacré un film à ce que vous appelez la maltraitance de l’accouchement ?
Catherine Béchard : Je soigne les traumatismes que ce type d’accouchement engendre depuis des années. A Barcelone, mais aussi au Mexique. Je sentais qu’il existait un véritable mal-être concernant la naissance, pour les mères comme pour les enfants et un non-dit social à ce sujet. Et comme ma fille est cinéaste, j’ai pensé qu’il était temps de prévenir pour que ça change.
Quelles maladies vous ont mis la puce à l’oreille ?
CB : Je soigne de plus en plus d’enfants stressés, hyperactifs, asthmatiques, allergiques… J’ai fini par demander aux mères : « mais comment s’est passé l’accouchement ? ». En général, elles répondent : « normalement », puis elles commencent à confier qu’il a été très médicalisé, qu’on leur a imposé une péridurale, un lourd protocole médical dont elles ne voulaient pas, voire une césarienne… Elles disent souvent avoir eu l’impression que leur corps était devenu un objet dont il fallait sortir absolument le bébé.
Comment avez-vous procédé ?
CB : Pour bien comprendre la situation, les protocoles hospitaliers, j’ai d’abord fait une formation de sage-femme. Là, j’ai compris que l’enseignement, en France notamment, n’était que pathologique, pas du tout physiologique. On apprend donc à soigner les problèmes mais pas à respecter le ressenti, la connaissance naturelle que les femmes ont de leur corps, la gestion qu’elles ont de leur douleur aussi. Puis, pour confirmer mon intuition, j’ai suivi pendant six mois une sage-femme à domicile en lui demandant de tout m’expliquer. Enfin, je suis partie au Mexique où les témoignages ont été identiques. J’en ai conclu qu’il y avait une mondialisation des protocoles hospitaliers et que partout, les femmes le vivaient mal.
Quelles preuves en avez-vous ?
CB : Je me suis aperçue que la plupart des pays éradiquaient, chacun à leur manière, les sages-femmes libérales. En Espagne, les frais d’un accouchement à domicile avec sage-femme ne sont pas remboursés par la sécurité sociale ; au Mexique, on donne de l’argent aux indigènes pour qu’elles aillent accoucher à l’hôpital ; en France, une sage femme gagne en moyenne 24 000 € par an et on lui impose de prendre une assurance annuelle de 19 000€ pour pouvoir travailler… sinon, son activité est considérée illégale.
Mais, la demande pour accoucher chez soi est-elle forte ?
CB : Oui, mais on ne l’entend pas. Il n’y a qu’en Angleterre où le taux de césariennes dépasse les 60% qu’il y a une vraie politique d’incitation à l’accouchement à la maison, avec bien sûr, accès à l’hôpital en cas d’urgence. Pourtant, un accouchement à la maison avec une sage-femme revient à 2000€ contre 6000€ à l’hôpital, voire entre 10 000 ou 30 000€ en cas de césarienne.
A votre avis, pourquoi médicalise-t-on tant les accouchements ?
CB : On cherche la rentabilité à tout va, l’industrialisation de l’accouchement. Une sage-femme à l’hôpital gère 4 à 5 accouchements en même temps… et puis, comme 2 à 3 enfants naissent chaque seconde, si chaque naissance nécessite ne serait-ce qu’un seul produit ou médicament, je vous laisse imaginer ce que cela représente en terme de chiffre d’affaires pour un laboratoire pharmaceutique…
Que recommandez-vous ?
CB. Tout simplement qu’on laisse le choix aux femmes d’accoucher là où elles se sentent le mieux, en envisageant toujours l’hôpital en cas d’urgence et d’arrêter de leur imposer ces violences obstétricales. Les maisons de naissance sous tutelle médicale sont aussi une option.
En prend-on le chemin ?
CB. En France, pas vraiment ! On espère que le film ou les Lobactions (débats citoyens et/ou publics) faciliteront la prise de conscience. La Ministre de la Santé a été contactée, mais rien que dresser un état de lieux sur l’accouchement et ses conséquences est mission impossible. Et les études étrangères ne sont jamais traduites ! On sait pourtant que toutes les recherches sur l’accouchement condamnent cette industrialisation, cette déshumanisation, qu’une bonne naissance nécessite le suivi d’une seule personne, qu’il est important que la future maman choisisse le lieu où elle se sent en sécurité et celui ou celle qui va l’assister, qu’il ne faut pas retirer le bébé de la mère dans les deux heures qui suivent la naissance, que le peau à peau et les mots d’amour sont souvent plus efficaces qu’une couveuse ou l’urgence à laver l’enfant…
Et vous, quels souvenirs gardez-vous de vos accouchements ?
CB : Pour ma première fille, j’étais stressée, ce qui est normal, et j’ai été très contrariée de devoir me déplacer hors de chez moi. Du coup, pour la seconde, j’ai choisi une sage-femme et j’ai donné naissance sur ma péniche !
Propos recueillis par Véronique Le Bris