Capharnaüm de Nadine Labaki a frôlé la Palme d’or et est reparti du 71e Festival de Cannes avec le Prix du Jury. Une récompense méritée pour ce beau film sur l’enfance maltraitée au Liban.
Les invisibles
Zain Al Hajj a 12 ans et une détermination à toutes épreuves. D’ailleurs, il assigne ses parents au tribunal pour « lui avoir donné » la vie. Il faut dire que Zaina a de quoi ne pas être satisfait de son sort. Et c’est justement ce que Capharnaüm, le troisième long métrage de Nadine Labaki, après Caramel et Et maintenant, on va où?, va nous raconter.
Zain a quasiment grandi dans la rue. Fils parmi les plus âgés d’une famille pauvre et nombreuse, il vit depuis toujours dans un capharnaüm, où les enfants s’empilent à peu près autant que les détritus. Ses parents sont pauvres et sans éducation et soumettent les naissances à la seule volonté divine.
Seul dans le Capharnaüm de Beyrouth
Mais, il faut bien vivre. Et les enfants aussi peuvent être source de revenus. Sahar, la soeur dont Zain est le plus proche, est un jour vendue, mariée. Zain en est tellement dégoûté qu’il finit par quitter sa famille qui ne le retient pas. Il va devoir se prendre en main, constaté bien malgré lui qu’il est une cible permanente d’adultes peu scrupuleux.
Jusqu’au jour où il rencontre Rahil et son bébé Yonas. Eux aussi sont exclus de la société libanaise puisque noirs, immigrés clandestins et sans papier, comme Zain d’ailleurs. Ensemble, dans un bidonville, ils vont toutefois de beaux moments de complicité et de vie moins précaire. Mais Rahil est arrêtée. Zain se retrouve seul avec Yonas.
Une question de responsabilité
C’est un long calvaire qui conduit Zain à se durcir et finalement à reprocher judiciairement à ses parents de lui avoir donné la vie. De ne pas l’avoir jamais aimé, ni élevé correctement. Si le procédé est choquant et sorti de l’imagination de Nadine Labaki, il a le mérite de poser le constat : comment la société dans son ensemble réagit-elle à la maltraitance des enfants? Veut-elle la voir et la traiter? Ou trouve-t-elle des excuses aux adultes, à chacun des adultes?
Capharnaüm est un film mal aimable car il gratte là où ça fait mal, là où notre responsabilité est collective. Il montre et laisse un gamin de 12 ans, certes débrouillard et intelligent, se frayer seul un chemin vers une sorte de dignité. Dans le cas de Zain, il s’agira surtout d’obtenir des papiers, puisque ses parents n’ont pas déclaré sa naissance. Dans la vraie vie, Zain est un réfugié syrien que Capharnaüm aidera aussi à obtenir des papiers.
Un Beyrouth jamais vu
Véritable plongée dans la pauvreté et chez les laissés pour compte de nos sociétés urbaines qui croient aussi sur cette misère, Capharnaüm est un superbe film aux images magnifiques et incroyables. Jamais Beyrouth et ses bidonvilles n’avaient été filmés de la sorte. Les plans aériens qui survolent cette ville-capharnaüm sont sidérants à la fois de beauté et d’insalubrité dévoilée.
De même, les protagonistes, tous non professionnels et aux vies similaires à celles qu’ils ont dans le film, sont extrêmement touchants par leur sincérité, désarmante. Leur misère est un fardeau que rien, ni personne ne parviendra à alléger. Et c’est sans doute ce qui sidère le plus à la vision du film : notre incapacité à voir, à connaître, à comprendre et finalement à aider ce nouveau lumpen prolétariat à s’extirper de la condition qui est la sienne, de ce capharnaüm insupportable.
De Nadine Labaki, avec Zain Al Rafeea, Yordanos Shiferaw, Boluwatife Treasure Bankole, Kawthar Al Haddad, Haita Izam…
2018 – Liban/ France – 2h03
Capharnaüm de Nadine Labaki a reçu le Prix du Jury lors du 71e Festival de Cannes, en mai 2018.