Une histoire d’amour tragique se solde par une fantastique vengeance. Atlantique de la réalisatrice Mati Diop a reçu le Grand prix du jury au Festival de Cannes 2019.
Amour fantôme
C’était une première et une superbe réussite. Mati Diop est, en 72 éditions, la première réalisatrice noire à accéder à la compétition officielle du Festival de Cannes. Son film Atlantique en repart récompensé du grand prix, la deuxième distinction après la Palme d’or. C’est la quatrième fois de l’histoire que ce Grand prix revient à une réalisatrice, la deuxième à un cinéaste africain.
Atlantique est le contre-regard d’un court-métrage qui portait le même titre mais au pluriel que Mati Diop a réalisé dix ans plus tôt. Il y était question d’un jeune homme, Serigne, que le désespoir économique poussait à émigrer par la mer en Europe. Il a échoué et racontait son périple à d’autres. Quelques temps plus tard, Serigne meurt. Lors de ses obsèques, Mati Diop croise le regard de sa soeur. Sa détresse lui offre de quoi revenir sur le sujet. Son nouveau film, Atlantique, sans « s » cette fois, sera un long métrage et s’intéressera à celles qui restent à terre, celles auxquelles la mer arrache les compagnons. Brutalement. Sans qu’elles le sachent.
D’amour et d’esprit
Ada aime Souleiman mais est promise à Omar. Omar est riche, à moitié installé en Europe. Souleiman, lui, est pauvre. Ouvrier sur les nouveaux chantiers de Dakar, il meurt comme ses collègues de ne pas être payé depuis des mois. Sans espoir, il s’embarque sur une pirogue pour l’Europe. Il n’a rien dit à Ada. Quelques jours plus tard, son corps est retrouvé. Dès qu’Ada épouse Omar, son entourage devient comme possédé. Certains prétendent avoir Souleiman à Dakar…
Atlantique débute comme une histoire d’amour contrariée puis impossible. Le récit se transforme en une vengeance ésotérique, un film fantastique où les esprits des hommes prennent littéralement corps de leurs compagnes pour récupérer leur dû. Ou bien celui d’un policier chargé de surveiller Ada et de démêler les étranges combustions qui consument son mariage.
La mer ou les femmes
Ancré dans la réalité contemporaine et populaire de Dakar, Atlantique est aussi un étrange hommage à cet océan menaçant. Il attire comme un aimant les forces de ce pays pour mieux les engloutir ensuite. L’atlantique, filmée de manière fascinante, est autant un espoir qu’un cimetière. Il provoque le regard et s’impose, par plans interposés, comme une masse mouvante, aussi attractive qu’apeurante.
S’il y est beaucoup question d’hommes, absents, Atlantique est une vraie création féminine. Sa réalisatrice a choisi d’en confier les rôles principaux à une cohorte de femmes aux profils très différents. Autour de l’énigmatique Ada (Mama Sané), qui en sortira accomplie, tourne une communauté féminine variée : de la religieuse Mariama et meilleure amie, à la tenancière de bar, Dior, en passant par l’envieuse et pragmatique Fanta. Pour ne citer que les plus présentes.
Un film de femmes
Toutes ont été repérées dans la rue, dans le quartier de Thiaroye. Toutes et tous s’expriment en wolof, la langue sénégalaise officielle et se meuvent sur la musique magnifique de Fatima Al Qadiri qui, par son originalité, envoûtent les images de Claire Mathon. Le tout fait d’Atlantique un film littéralement fantastique.
De Mati Diop, avec Mama Sane, Ibrahima Traoré, Amadou Mbow, Nicole Sougou, Amina Kane, Mariama Gassama…
2019 – France/Sénégal/Belgique – 1h45