Avec Aquarius, le brésilien Kleber Mendonça Filho signe le portrait mélancolique de Clara. Une femme très digne qui se bat contre un promoteur immobilier pour garder l’appartement où elle a passé sa vie. Un des plus beaux films de Cannes 2016.
La vie de Clara
A Recife, Clara a vécu heureuse dans son appartement de l’Aquarius. Elle y a élevé ses enfants, eu son cancer, perdu son mari, écouté la musique qu’elle aime et qui continue à la ressourcer et exercé son métier de critique musicale. Cet appartement qui donne sur la plage chic de Recife, c’est l’histoire de sa vie. Et elle entend bien y rester jusqu’à la fin de ses jours.
Un promoteur immobilier avide a décidé de racheter un à un les appartements de l’immeuble pour le transformer en résidence de standing. Tous ont cédé sauf Clara qui s’entête à vivre dans ses souvenirs. La bataille est d’abord à peu près civilisée. Mais devant l’obstination de Clara, la fin va bientôt justifier les moyens, tous les moyens.
Clara, la dame forte de l’Aquarius
Le film est plutôt long – plus de 2h, mais il faut bien 2h pour raconter une vie -. Etrangement, il est sans longueurs. Ou plutôt sa longueur sert à nous faire comprendre la vraie personnalité de Clara et à légitimer son combat.
Le dispositif est pourtant des plus simples. Sans flash-backs mais avec l’intensité de la personnalité de Clara, la tenue qu’elle donne et a donné à sa vie, malgré les épreuves, on suit donc son personnage de femme digne qui arrive dans le dernier tiers de sa vie. Celui où l’on ne renonce pas aux principes qui nous ont guidés jusque là et où finalement, on est le moins près à faire des concessions inutiles.
L’Aquarius, un projet financier contre les souvenirs d’une vie
Rien ne fera donc faiblir Clara. Surtout pas le sourire hypocrite du jeune promoteur immobilier, les actes pervers qu’il met en œuvre pour la dégoûter, les manœuvres d’intimidation qu’il utilise contre elle et son entourage. Jamais, elle ne baisse la garde, car que vaut l’argent au regard des souvenirs d’une vie?
Dans cette fresque à l’humanité débordante, la belle actrice Sonia Braga est merveilleuse de dignité et de retenue. Superbe, humaine, déterminée, son personnage donne une leçon de vie comme l’actrice donne une leçon de jeu en honorant de sa présence chacun des instants de ce combat. Empathique mais consciente de la valeur de son combat et de sa propre vie, donc un peu hautaine aussi parfois, Clara semble habitée par une force intérieure impressionnante, qui mérite tous les honneurs (le prix d’interprétation de Cannes 2016 lui a bizarrement échappé, passons).
Aquarius ou la dénonciation de la corruption passive
D’ailleurs, ce combat d’une David contre Goliath, dresse un réquisitoire aussi très politique en résonance parfaite avec l’actualité ( et la démission plus ou moins forcée de Dilma Rousseff). La corruption brésilienne y est abordée frontalement, et notamment la plus sourde, celle qui consiste à placer ses relations à des postes importants (dans les journaux notamment- belle séquence lourde de sens entre Clara et son ancien rédacteur en chef), muselant encore plus la parole des petits contre les gros et accentuant encore les injustices.
Tout est filmé subtilement, sur la durée avec la présence implacable de la digne Clara, journaliste et écrivain, aujourd’hui en manque d’amour et dont la superbe chevelure a aussi rythmé la vie (autre référence biblique, mais à Samson cette fois, puisque selon le réalisateur, Clara tire la force de ses cheveux). Une prouesse pour Kleber Mendonça Filho, dont c’est seulement le deuxième long métrage après Les bruits de Recife, qui racontait aussi le combat d’habitants contre la spéculation immobilière dans une ville qu’il connait bien. Émouvant et formidable, dans sa sobriété, Aquarius est un des plus beaux films de Cannes 2016.
De Kleber Mendonça Filho, avec Sonia Braga, Irandhir Santos, Maeve Jonkings, Humberto Carrao…
2016 – Brésil – 2h20
Aquarius de Kleber Mendonça Filho était présenté en Compétition Officielle au 69e Festival de Cannes.