Sous la caméra de la québécoise Sophie Deraspe, Antigone quitte l’Antiquité pour devenir l’héroïne d’aujourd’hui, à Montréal. Une audace imparfait mais intéressante.
Une héroïne d’aujourd’hui
Au cinéma, au théâtre, l’audace ne paie pas toujours mais elle mérite toujours d’être encouragée. C’est le cas ici. Sophie Deraspe est interpellée depuis l’âge de 20 ans par Antigone qu’elle a découvert dans la version de Jean Anouilh. Elle a ensuite lu celle de Sophocle. Elle prétend avoir été marquée par cette héroïne, qui s’appuie sur des valeurs, des lois supérieures à celles des hommes.
Une bavure policière à Montréal lui suggère l’idée d’adapter au contexte actuel et québécois l’histoire d’Antigone, qu’elle situe au cœur d’une famille immigrée, venue d’Afrique du Nord. Antigone – tous les protagonistes ont les noms d’origine de la pièce- vit avec ses deux frères, sa sœur et sa grand-mère. C’est une adolescente et élève brillante, et son avenir semble tracé. Bien parti tout au moins.
Antigone québécoise et contemporaine
Mais, un de ses frères, Etéocle, est abattu par la police lors d’un contrôle inopiné, et l’autre, délinquant notoire, arrêté et mis en détention pour s’être révolté au moment du meurtre. Antigone, saisie par l’injustice qui l’attend Polynice et se sachant mieux armée que lui pour se défendre, d’autant qu’elle est mineure, décide de prendre sa place en rétention.
Le plan fonctionne avec plus ou moins de bonheur, en partie à cause de l’inconséquence de Polynice. Antigone ne vacille pas et continue à mettre ses valeurs (l’unité de sa famille, la fraternité, la justice…) au dessus des lois et des arrangements qui ont souvent cours dans la société.
Une mise en scène engagée et justifiée
L’audace d’actualiser ainsi Antigone, cette héroïne antique, mue par des valeurs puissantes, est plus qu’à saluer. C’est une très bonne idée qui a la vertu de rendre accessible aux plus jeunes des textes qu’ils jugent souvent trop éloignés d’eux, mais qu’ils auront peut-être ainsi l’envie de redécouvrir. Tout est fait pour leur plaire : le contexte choisi, le rythme de l’action, les choix des acteurs, tous très jeunes, la musique (du rap et du raï surtout ) et certaines mises en scène (l’hommage à Etéocle sur les réseaux sociaux)…
Les partis pris de Sophie Deraspe sont pleinement assumés. Ce qui donne une incontestable force au film. Et cela malgré les incongruités, celles des prénoms que portent cette famille maghrébine aux traditions fortes (donc pourquoi pas celle des prénoms ? ). C’est évidemment pour qu’on s’y retrouve. Et chaque caractéristique des personnages et bien ancrée.
… mais inégale
L’incongruité n’est pas dans ces choix assumés mais plutôt dans une certaine inégalité de la puissance des scènes. Certaines sont d’une réelle intensité, et c’est la cas de la plupart de celles qui sont portées parla magnifique actrice débutante Nahéma Ricci. Les autres, plus quotidiennes – les réunions familiales ou celles des confrontations avec la famille montréalaise de son ami Hémon par exemple – sont en revanche d’une platitude démonstrative, parfois à la limite de la maladresse ou de la naïveté. Comme si Sophie Deraspe avait focalisé toute son énergie sur l’extraordinaire, en négligeant le reste.
Il n’empêche que cette adaptation mérite d’être vue, étudiée même. Et la vertu de cette Antigone, prête à se sacrifier pour maintenir l’unité familiale, oblige à l’introspection et pourquoi pas au débat. Tous les films n’ont pas cet effet-là…
De Sophie Deraspe, avec Nahema Ricci, Antoine Desrochers, Nour Belkhiria, Rawad El-Zein…
2019 – Québec – 1h49
Antigone est le cinquième long métrage de Sophie Deraspe, le premier a être diffusé en France. Il a été sélectionné au Festival de Toronto 2019. Sa sortie est prévue le 2 septembre 2020.