Un mari tue sa femme quand sa carrière bat de l’aile. Annette, leur fille, vengera-t-elle sa mère? Leos Carax esquive le sujet en l’enrobant dans la musique des Sparks. Désarmant.
Bienvenue dans la masculinité toxique
À croire que #metoo n’a jamais existé ! Ni pour le réalisateur Leos Carax, ni pour la critique qui a encensé Annette. Reprenons au début. Annette est une sorte de commande faite par le groupe musical Les Sparks il y a une petite dizaine d’années à Leos Carax qui avait utilisé une de leur musique dans son film précédent Holy Motors. Soit.
Le cinéaste aurait hésité à faire le film à cause de sa fille (de peur de lui montrer un « mauvais » père) mais la musique des Sparks aurait eu raison de ses réticences. Re-soit. Le film a été difficilement à monter. Ok. Mais peut-on légitimement monter un tel film en 2021 comme si de rien n’était?
Malaise de femmes
« On a toutes ressenti un malaise » confient plusieurs femmes qui s’engagent pour plus de parité et une plus juste représentation des femmes au cinéma. Comme s’il semblait une fois de plus malvenu d’exprimer sa nausée au sujet du film d’ouverture du 74e festival de Cannes. Rappelons qu’il met en scène un féminicide en prenant soin de ne jamais rendre son héros antipathique.
Annette est présenté comme une histoire d’amour forte, extrême racontée en comédie musicale. Une vedette du stand up américain est fou amoureux et aimé en retour d’une chanteuse lyrique à succès. Leur histoire défraie la presse people – séquence kitsch amusantes-. Une enfant, Annette, finit par naître qui ne sera qu’une marionnette auprès de son père manipulateur.
Une étoile meurt quand une autre nait
L’amour , le bonheur familial ne sied pas au comique. Ses blagues finissent par être de mauvais goût et annoncent la suite (y aurait-il préméditation?). Il commence à boire, à jalouser la carrière de sa femme toujours au sommet, elle, et plutôt que de se tuer comme dans Une étoile est née, il provoque sa mort, à elle.
Comme ce film est aussi un conte cruel, le fantôme d’Ann décide de se venger. Elle le fera à travers Annette à qui elle transmet sa voix. Et quand le père en prend conscience, il utilise sa fille ultra-mineure pour redorer son blason. Elle finira par dénoncer son père qui sera jeté en prison.
Un male gaze embarrassant
L’homme toxique est puni puisqu’il finira sa vie derrière les barreaux en rupture avec sa propre fille. La morale, la justice sont passées. Mais pas le malaise que l’on ressent et qui est provoqué par la mise en scène, et par elle seule.
Comme un signe avant coureur de la suite et de ce mal-être plus que diffus, une séquence tombe comme un cheveu sur la soupe. Elle montre six femmes présentées comme hystériques qui portent plainte contre Adam pour abus sexuel. L’une d’elle est la chanteuse Angèle qui s’est retrouvée à monter les marches du 74e Festival de Cannes pour une séquence d’à peine quelques minutes et sur laquelle le film ne revient jamais.
Une forme progressive pour un propos d’un autre âge
Impossible donc d’accorder à Leos Carax le bénéfice du doute : il sait que son film est douteux (sinon, pourquoi cette séquence?). Puisqu’il en a conscience, pourquoi filme-t-il Adam Driver avec une constante empathie ? Pourquoi continue-t-il à en faire un personnage charismatique, sans remords, ni regrets? Et pourquoi entretenir encore et toujours un tel discours traditionnel, des personnages aussi ancrés dans un système qu’on voudrait révolu ou à minima qu’il aurait pu interroger, quand on se revendique comme lui à l’avant garde de la création? Pourquoi une telle distorsion entre un fond si réac et une forme si progressive ?
Ce n’est qu’en se posant ces questions et en tâchant d’y répondre que le cinéma français rompra avec son « masculisme » viscéral. Mais le veut-il seulement?
De Leos Carax avec Adam Driver, Marion Cotillard, Simon Helberg…
2020- France/USA/Mexique – 2h19
Annette de Leos Carax a fait l’ouverture du 74e Festival de Cannes. Il était en compétition officielle et a reçu le prix de la mise en scène.