All we imagine as light
Le destin de trois femmes qui travaillent ensemble dans un hôpital de Mumbai. Quatrième film de réalisatrice en compétition officielle, All we imagine as light de Payal Kapadia est le plus apaisé de tous. Il a reçu le Grand Prix du 77e Festival de Cannes.
Une sororité douce
Il faut quelques minutes et plusieurs séquences pour se repérer dans le film comme dans la ville tentaculaire où il commence. A Mumbai (anciennement Bombay), on finit par rencontrer Prabha, infirmière à l’hôpital, puis une de ses collègues Anu. L’une a de l’expérience et paraît très sérieuse, l’autre prouve déjà qu’elle a un rapport plus détaché, plus moderne à la vie. Elles cohabitent aussi et se retrouvent le soir dans un petit appartement.
Un soir justement, Prabha dont le mari est parti en Allemagne juste après leur mariage et dont elle n’a plus de nouvelles, reçoit en cadeau un autocuiseur de facture « internationale », selon sa colocataire. Un signe qu’il pense toujours à elle ? Peut-être mais rien ne dit que c’est lui qui en est l’expéditeur. Et Prabha n’est pas du genre à s’épancher sur ce qu’elle ressent. Elle partage seulement la douleur que lui procure le silence de son mari qu’elle n’avait pourtant pas choisi mais auquel elle s’est attachée. Elle n’arrive même plus à joindre au téléphone. Elle ne répond pas pour autant aux avances d’un médecin de passage à l’hôpital qui lui envoie pourtant de très beaux poèmes.
Trois femmes et trois désirs
Anu, elle, est plus délurée. Venue en ville pour échapper aux injonctions de sa famille et de son village, elle veut choisir elle-même son mari et le tester avant de s’engager. Ça tombe bien. Anu est amoureuse d’un jeune homme qui l’est en retour. De religion différente, ils ne pourront sans doute jamais se marier. Ce qui ne doit pourtant pas les empêcher de s’aimer…. À condition d’enfin trouver un endroit pour partager un peu d’intimité. Ce n’est pas gagné.
Une troisième collègue, Parvaty, partage avec les deux autres, et l’hôpital, et leur condition de femme dans l’Inde d’aujourd’hui. Elle est veuve et se retrouve à la merci d’un promoteur immobilier sans scrupules. Contrainte de partir, c’est elle qui donne aux deux autres l’impulsion de quitter l’enfer de cette ville monstrueuse qu’est Mumbai pour un havre de paix en bord de mer. Et c’est là-bas dans cet environnement enfin apaisé que leurs vies vont prendre un autre sens.
Une sororité douce
A travers ces moments de vie partagés par ces trois femmes, qui se connaissent et représentent trois générations différentes, la réalisatrice Payal Kapadia va avec infiniment de délicatesse et de subtilité, aborder la condition de la femme indienne aujourd’hui et sa difficulté à vivre selon ses désirs. Et, comme elle l’a souligné en recevant le Grand Prix du 77e Festival de Cannes, soit, par ordre d’importance, le prix le plus prestigieux après la Palme d’Or, ces femmes-là sont filmées sans qu’aucune animosité ou rivalité ne les anime. Au contraire, elles se soutiennent les unes les autres, sans se juger, tout en ayant des convictions bien à elles. C’est d’autant plus admirable que All we imagine as light n’est que le deuxième long métrage de Payal Kapadia et sa première fiction après le documentaire Toute une nuit sans savoir.
All we imagine as light est, comme le titre l’indique, un chemin vers la lumière. Vers une vie plus choisie, en tous cas assumée surtout par les deux infirmières, puisque la troisième femme disparaît du paysage dans la second partie du film. A l’écran, le chemin est le même. Si Mumbai est souvent filmé au crépuscule ou de nuit, dans une atmosphère sombre et lourde, la photographie change radicalement quand ces femmes décident de partir en bord de mer et d’assumer leurs choix.
Le jeu des interprètes est parfaitement raccord avec la délicate mise en scène. Rien n’est brutal ou démonstratif ici, tout se joue dans les nuances et dans la banalité de vies ordinaires, certes, mais ce sont leur vie à ces femmes et ce film prouve que c’est un chemin de les assumer, de les choisir dans l’Inde d’aujourd’hui, en ville comme à la campagne.
De Payal Kapadia, avec Kani Kusruti, Divya Prabha, Chhaya Kadam, Hridhu Haroon….
2024 – France/ Inde/ Pays-Bas/Luxembourg – 114 mn
All we imagine as light (Tout ce que l’on prend pour de la lumière) de Payal Kapadia était présenté en compétition officielle du 77e Festival de Cannes. Il a été récompensé du Grand Prix. Sa sortie dans les cinémas français est prévue le 2 octobre 2024.