Loin de mon père
Loin de mon père, le nouveau film de Keren Yedaya traite d’un inceste père-fille de manière frontale. En analysant aussi les inévitables conséquences. Glaçant mais indispensable.
L’inceste sans filtre
Le film commence en s’immisçant par le trou d’une serrure. Tami, une jeune femme d’une vingtaine d’années, se fait les ongles dans le salon. Elle attend manifestement son homme, son compagnon de vie à qui elle prépare aussi à manger.
Moshe finit par arriver. Il est beaucoup âgé et exerce une autorité forte sur Tami, une emprise même. Moshe n’est pas n’importe qui : Moshe est le père de Tami. Et il a fait de sa fille son esclave domestique et sexuelle, une chose, un corps qu’il utilise comme il en a envie, qu’il maltraite au besoin sans autre considération. Et même si Tami a pris l’habitude de refouler ses désirs, ses émotions, passe son temps à se baffrer puis à se faire vomir, à se scarifier et à attendre que ce père l’aime, elle va finir par réagir…
Derrière la porte
L’inceste tel qu’il est vécu au jour le jour par la victime, avec son emprise et sa cruauté, sa dépendance affective aussi, voilà ce que Keren Yedaya a voulu montrer dans Loin de son père, un film inspiré plus qu’adapté du livre de Shez, Loin de son absence. Et le résultat est aussi cru, aussi insupportable à regarder, qu’il est nécessaire de le montrer.
Sans romance, mais avec l’acuité d’une documentariste bien renseignée, sans explications non plus, la réalisatrice israélienne bien connue pour son engagement auprès des femmes, récidive la démarche qu’elle avait imposée en 2004 dans Mon trésor qui traitait de sortie de la prostitution ou en 2009 dans Jaffa, récit d’un amour impossible entre une juive et un arabe.
Loin de mon père, s’en échapper
Ici, on suit Tami à la trace, dans sa soumission, dans sa jalousie quand son père l’ignore ou la trompe, dans tout ce qu’elle est capable d’endurer (et tout y passe, face caméra) pour qu’il continue à l’aimer, puisque telle est leur relation, voulue par lui.
On continue à la suivre quand elle tente d’échapper à l’enfermement (mais comment sortir de son propre corps? ) , quand elle se réfugie dans les confiseries ou s’offre perdue au premier venu. A une sorte de démonstration de son enfer, succède alors une évocation de sa fuite, moins maitrisée, plus hésitante.
Survivre
Sans délicatesse mais avec un réalisme criant et dénonciateur, Keren Yedaya offre finalement une chance de survie à cette pauvre Tami, enfermée depuis l’enfance suppose-t-on, dans un état qui lui a enlevé tout libre arbitre et qui malheureusement, la marquera pour tout le reste de sa vie. C’est fort, sans doute plus qu’un documentaire auquel on aurait sans doute tôt fait de refuser de s’identifier. Pour ne pas avoir trop mal. Pour ne pas trop subir.
Saluons au passage la prestation de Maayan Turjeman qui endosse ici son premier rôle au cinéma, à la sortie de l’école. Elle parvient à donner à Tami toute l’épaisseur et l’ambiguïté nécessaire. L’autorité malsaine est parfaitement interprétée par Tzahi Grad, un acteur expérimenté qui parvient à rendre subtil, intrigant en tout cas, ce pervers manipulateur qu’est Moshe.
L’inceste en droit et en chiffres
Rappelons à toutes fins utiles qu’en France, l’inceste, entres adultes (c’est-à-dire à partir de 15 ans, âge de la majorité sexuelle), n’est pas un crime, seulement une circonstance aggravante en cas de viol. Une proposition de loi est en cours d’examen au Sénat pour la faire inscrire au code pénal. Les discussions la concernant doivent reprendre le 11 mars 2015. Enfin, selon le Conseil de L’Europe, 1 enfant sur 5 serait victime d’inceste avant sa majorité. En France, on compterait quelques 2 millions de victimes.
De Keren Yedaya, avec Maayan Turjeman, Tzahi Grad, Yaël Abecassis….
2014 – Israël – 1h37
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