Trois souvenirs de ma jeunesse – Quinzaine 2015
Trois souvenirs de ma jeunesse, la grande fresque romanesque d’Arnaud Desplechin revient en trois temps donc, sur la vie de Paul Dedalus et sur ses amours. Et c’est bouleversant.
Le tourbillon de la vie
S’il est un réalisateur français qui a ses entrées au Festival de Cannes, c’est bien Arnaud Desplechin. Depuis La sentinelle, son deuxième film, il a été sélectionné cinq fois en compétition officielle. Cinq fois, mais pas cette année et ce fut en soi, une petite polémique. Pas grave… Trois souvenirs de ma jeunesse, sa neuvième fiction pour le cinéma, se retrouve finalement à la Quinzaine des réalisateurs et cela lui va à merveille. Non pas que celui-ci soit moins bon que les autres. Bien au contraire!
Trois souvenirs de ma jeunesse : trois flash-backs
Le film commence en ex-URSSS, au Tadjikistan, au moment où Paul Dedalus (Mathieu Amalric) quitte le pays et sa compagne actuelle pour rentrer en France. Et là, il se souvient.
De son enfance, violente, perturbée par la mort de sa mère avec laquelle il ne s’entendait pas (un trait récurrent du héros de tous les films (autobiographiques?) de Desplechin) et de l’impossible sursaut paternel. Paul semble avoir grandi tout seul, auprès d’une soeur et d’un frère dont il partage l’énergie fraternelle mais pas toutes les choix.
Esther
D’un épisode étrange de son adolescence qui a marqué un voyage scolaire et lui revient en boomerang, précisément au moment où il passe la frontière française. Et surtout, d’Esther, une jeune camarade d’école de sa sœur, dont il tombe éperdument amoureux et dont il finit par kidnapper le cœur.
Esther est belle, un peu vamp même et très sûre de sa séduction. Son succès auprès des garçons est sans limite. Mais Paul est différent. Sans doute le seul à la comprendre vraiment. Paul est déjà étudiant en anthropologie à Paris, souvent absent de Roubaix où il laisse Esther à chacun de ses retours à Paris. Cette absence, cette envie d’ailleurs leur sera-t-elle fatale ?
L’essence des sens
« A quoi bon l’amitié quand la passion est intacte ? » se demande Paul, sur un quai de gare. C’est vrai : à quoi bon l’amitié quand on est amoureux, profondément, intensément ? A quoi bon, sinon à diluer les sentiments les plus forts, l’essence même de la vie, de l’amour, le sens de l’existence pour une complicité charmante, sensible, merveilleuse mais sans doute un peu fade et pas suffisamment essentielle pour sublimer la vie ?
Sans être anecdotiques, les deux premiers souvenirs de jeunesse de Paul, qui servent aussi à définir ce qu’il est et ce qu’il deviendra, sont brutalement emportés par la passion dévorante qui lie irrémédiablement à Esther. La puissance de leur amour est telle qu’elle efface dans une bourrasque romanesque ce qui l’a précédée, nourrie et aussi détruite.
Froid mais puissant
Le cinéma de Desplechin est comme toujours un peu froid. Il maintient à distance, n’offre aucune familiarité sans pourtant être élitiste. Mais, il est, et ce film en est la preuve peut-être la plus accessible, brillant, puissant.
Il est par exemple difficile de raconter ce film comme une succession de flash-backs. La narration en est pourtant remplie et est entièrement basée sur ce principe. Mais, Desplechin en joue avec une telle finesse, en mélangeant les retours en arrière avec les commentaires du présent, en mixant les voix off, les lectures de lettres aux situations et aux dialogues de l’action qu’ils disparaissent immédiatement comme facilité de narration pour créer une nouvelle dimension, magnifique, éperdument romanesque.
Beaux rôles
Enfin, les acteurs s’approprient avec un naturel déconcertant des dialogues extrêmement littéraires et se mettent ainsi au diapason d’un récit qui les emporte, eux pourtant si jeunes. Quentin Dolmaire, qui joue Paul Dédalus adolescent et jeune adulte, est aussi touchant qu’il est décalé, subtil et incroyablement hors des clichés habituels, hésitant et décidé, persévérant mais tolérant. Sa diction, un peu nasale et saccadée finit même par être séduisante.
Lou Roy-Lecollinet (Esther) est, elle un diamant brut, jolie, sexuelle, suppliante aussi et d’une jeunesse qui la rend si troublante. A moins que ce ne soit la précision de la direction d’acteurs qui les rendent, tous les deux, si émouvants.
D’Arnaud Desplechin, avec Mathieu Amalric, Quentin Dolmaire, Lou Roy-Lecollinet, Dinara Droukarova, Françoise Lebrun…
2015 – France – 2h
Trois souvenirs de ma jeunesse a reçu le prix SACD de la Quinzaine des réalisateurs 2015 . Arnaud Desplechin a été sacré Meilleur réalisateur aux Prix Lumières et aux César 2016, Grégoire Hetzel meilleur compositeur de musique aux Lumières.
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