Les Tops 5 de Lina Soualem

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Il lui a suffi de deux documentaires inspirés par sa famille pour remporter le Prix Alice Guy. Bye bye Tibériade, révélé à la Mostra de Venise et qui a représenté la Palestine à l’Oscar, installe Lina Soualem au cœur de la nouvelle génération des réalisatrices qui comptent.

Les choix de Lina Soualem

Les femmes et le 7ème art, c’est une longue histoire mal connue. Pour l’honorer, Cine-Woman demande à tou.te.s les 5 films de femmes et les 5 rôles féminins qui les ont marqué.e.s. C’est au tour de Lina Soualem de nous confier ses listes.

« Je n’étais pas partie pour faire du cinéma, prévient Lina Soualem, la réalisatrice de Bye bye Tibériade, Prix Alice Guy 2025. Mais j’ai grandi dans une famille d’acteurs. Le cinéma a donc toujours été présent. Avec ma sœur Mouna, nous allions sur les plateaux de tournage de mes parents ; les amis qu’on s’y faisait étaient des enfants de gens du cinéma. Grâce à ma mère qui tournait beaucoup au Proche ou au Moyen Orient, en Jordanie, en Palestine, j’ai vite connu une industrie du cinéma qui n’était pas française. Cela m’ouvert des perspectives internationales ». Mais pas tracer une voie pour autant. « Au fond de moi, j’ai toujours rêvé d’être dans le cinéma mais sans savoir ce que je pouvais y faire ou y apporter. Et j’avais l’impression que c’était un rêve ou un désir qui n’était pas vraiment le mien », souligne-t-elle.

Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman

Elève studieuse, Lina Soualem se rassure en suivant un cursus académique. Elle file apprendre l’anglais à New York puis étudie l’histoire et les sciences politiques à la Sorbonne dans l’idée de travailler dans la diplomatie ou l’humanitaire. Lors d’un stage en Argentine qui valide un master en relations internationales, elle prend conscience que ni le journalisme, ni la diplomatie culturelle auxquels elle se destine ne l’intéressent vraiment. Elle s’engage comme volontaire dans l’organisation d’un festival sur les droits de l’homme qui diffuse des documentaires aux thématiques contemporaines, sociales, politiques, écologiques ou culturelles. Très vite, on l’embauche pour programmer la section Moyen Orient avec un focus sur le cinéma palestinien. « J’ai découvert un genre de cinéma que je ne connaissais pas mais qui combinait tous mes intérêts : mon attirance artistique, mon envie de créativité et mon besoin de parler du réel. Je ne connaissais rien au documentaire », avoue-t-elle aujourd’hui. A world not ours de Mahdi Fleifel, révélé depuis avec Vers un pays inconnu, sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes 2024, est une révélation. « J’y ai trouvé une vérité que je n’avais jamais vu au cinéma, j’ai compris qu’on pouvait parler de nous sans les stigmates habituels, insiste-t-elle. Ça m’est resté en tête ».

Saisir le bon moment

A son retour en France, Lina Soualem contacte le milieu du documentaire pour programmer ou, mieux, pour se former sur le tas afin de réaliser un film. On la décourage et au bout d’un an de recherches infructueuses, elle devient consultante en dialogue interculturel pour l’Unesco tout en organisant un festival d’art contemporain palestinien à Paris et un festival de cinéma indépendant en Palestine. « Quand j’ai appris que mes grands parents paternels se séparaient, je n’ai plus pu que m’occuper que de ça ! Je voulais les filmer. J’ai commencé à écrire, démissionné de l’Unesco et intégré une résidence d’écriture au Maroc. Rachid Hami, un ami que je ne remercierai jamais assez, m’a prêté une caméra et des micros, j’ai regardé des tutos sur internet et je suis partie filmer ma grand-mère, raconte-t-elle. J’ai aussi regardé les films familiaux que mon père – le comédien Zinedine Soualem – avait tournés et qui ont été le point de départ de mes deux films ».

Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Les grands parents de Lina Soualem dans Leur Algérie

Le tournage de Leur Algérie débute ainsi en 2017 sans financement, ni aide. Un producteur français lui a reproché de « ghettoïser » son film en voulant traiter de l’identité algérienne. « Ce terme est enfermant et stigmatisant. Comme si l’identité algérienne ne concernait qu’une minorité d’exclus, réagit Lina, alors qu’une personne sur deux, en France, est liée d’une manière ou d’une autre à l’Algérie ! » . A mi-parcours, elle finit par trouver une productrice et des manières différentes de financer son film, en allant le pitcher en Algérie, en Tunisie, au Maroc, en Egypte. Ce qui lui assurera une carrière internationale à sa sortie. Le film coûte peu, Lina travaille avec la monteuse Gladys Joujjou et écrit à partir des images obtenues. En 2020, chahuté par le Covid, il s’impose en festival et en salle et réunit 28 000 spectateurs au cinéma en 2021 ! Arte l’acquiert pour la VOD. « Un petit succès », se félicite-t-elle.

Une histoire transmise par les femmes

Entre temps, Antoine Chevrollier (La Pampa) lui propose de coordonner l’écriture et la recherche de documents pour la série Oussekine. Et elle a déjà commencé à travailler sur l’histoire de sa mère. « Quand je pitchais Leur Algérie en expliquant comment le silence avait permis à ma famille algérienne de survivre, j’opposais souvent l’importance de la parole dans ma famille palestinienne sans penser à en faire un film car l’histoire est trop compliquée, trop chargée. Puis, j’ai ressenti le besoin de filmer ma grand-mère palestinienne avec la peur que sa mémoire disparaisse sans avoir transmis notre histoire. En Palestine, chaque témoin est un témoin à la fois de l’intime et du collectif », précise-t-elle.

Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Trois générations de femmes dans Bye bye Tiberiade

« En regardant les images filmées par mon père, j’ai compris que l’histoire de ma famille palestinienne était portée par des femmes et que je pouvais la raconter à travers le personnage de ma mère – l’actrice Hiam Abbass. Cette histoire comporte beaucoup de douleur et de souffrance, de nombreux déplacements, des familles éclatés, un statut de réfugiés… Jamais ces femmes ne racontaient comment elles avaient vécu tout cela intimement, quels étaient leurs rêves brisés, toutes ces choses qu’elles n’avaient pas pu accomplir », s’émeut-elle.

Témoin de l’intime et du collectif

« Il a été difficile de faire comprendre à ma mère que s’intéresser à l’intimité n’est pas voyeuriste mais contribue à raconter quelque chose qui alimente la mémoire et l’histoire collectives », explique-t-elle. Bye bye Tibériade n’est pas un film sur elle, ni un portrait d’elle en tant qu’actrice mais le parcours et la transmission de quatre générations de femmes palestiniennes. Ma mère est partie mais son départ porte un éclairage sur les autres », résume Lina Soualem.

Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Hiam Abbas et sa fille, la réalisatrice Lina Soualem

Hiam Abbass lui présente un producteur, Jean-Marie Nizan, qui arrive tôt dans l’aventure cette fois et lui permet de numériser les films familiaux, de payer les repérages, les images d’archives et le long montage. Bye bye Tibériade sort en février 2024 après avoir été sélectionné aux festivals de Venise, de Toronto ou au BFI de Londres. Il représente même la Palestine à l’Oscar et réunit 20 000 spectateurs français en une semaine d’exploitation.

Une vraie famille de cinéma

« J’avais toujours rêvé de faire un film sur l’histoire de ma mère et ma grand-mère sans jamais oser, a affirmé Hiam Abbass, durant la tournée du film. Que ce soit ma fille qui le fasse est formidable, c’est le plus grand bonheur » cite Lina Soualem à qui sa mère ne s’était jamais confiée sur le sujet. « Elle ne me l’avait jamais dit. Mais, elle est bien la mémoire vive, moi celle qui la collecte ».

Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Lina Soualem et Hiam Abbas, la collecte de la mémoire vive

Parallèlement, Lina Soualem poursuit une carrière de comédienne. Elle a débuté dans Héritage, le film de sa mère, dans A mon âge je me cache encore pour fumer de Rayhana Obermeyer ou dans Tu mérites un amour d’Hafsia Herzi. Elle est une des interprètes du prochain film de Cédric Kahn. Et prépare son troisième long métrage où sa sœur Mounia aura le premier rôle, en confiant : . « Maintenant que j’ai une expérience de la réalisation documentaire,  je peux me libérer du poids du réel pour envisager de faire de la fiction, avec une écriture plus libre et avec l’objectif de réinjecter de la joie dans le récit ».

Quant à Alice Guy, elle dit l’avoir découvert en même temps qu’elle a su que Leur Algérie était éligible au Prix Alice Guy. « Le remporter pour mon film suivant est juste incroyable », s’enthousiasme-t-elle. Alors justement, quelles sont donc les réalisatrices qui ont compté pour elle ? Lina Soualem en a choisi 5 mais qu’elle ne classe pas dans un ordre précis.

Mes cinq films de réalisatrices préférés

1- Fish Tank d’Andrea Arnold (2009)
Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Katie Jarvis dans Fish Tank d’Andrea Arnold

Il m’a été difficile de choisir un film de cette réalisatrice que j’adore. J’ai vu tous ses films, même ses courts métrages. Et à chaque fois, je me suis dit que j’aimerais réussir à faire traverser ces émotions-là à mes spectateurs. Il y a une sensibilité que j’aime beaucoup, cette thématique de ces êtres qui cherchent leur place dans des contextes très déséquilibrés. Ils finissent par en trouver une, pas forcément en rentrant dans des cases mais par des interactions avec les autres. Fish tank est le premier film que j’ai vu d’elle.

2 – Holy Smoke de Jane Campion (1999)
Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Harvey Keitel et Kate Winslet dans Holy Smoke de Jane Campion

Elle aussi, je l’adore ! Et ce film est mon préféré. Pourtant, quand tu lis le sujet sur papier, cette histoire d’une famille australienne qui va chercher sa fille perdue chez un gourou et qui va rester enfermée auprès d’un mec qui la convertit , tu te dis, « Mouais ! ». Mais, c’est hyper fort ! Ce que les acteurs arrivent à créer dans l’espace du film avec le regard et la sensibilité de Jane Campion est exceptionnel !

J’aime aussi beaucoup In the cutJane Campion filme la sexualité d’une manière que je n’avais jamais vue. Son regard est beau, ça a été une vraie prise de conscience pour moi.

3- Tu mérites un amour de Hafsia Herzi (2019)
Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Lina et Mounia Soualem aux côtés d’Hafsia Herzi dans Tu mérites un amour

Ce premier film, réalisé avec un mini budget et des amis, est un petit bijou. J’admire autant l’actrice Hafsia Herzi que la réalisatrice. J’aime les thématiques qu’elle aborde, la patte qu’elle apporte, la manière dont elle travaille. Elle est humble, discrète. Elle a pourtant tellement à dire mais pas forcément par la parole. Elle vient de terminer son troisième film, La petite dernière, dans lequel ma sœur joue et qui est en compétition officielle au Festival de Cannes 2025.

4- Tout une nuit sans savoir de Payal Kapadia (2021)
Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Toute une nuit sans savoir de Payal Kapadia

J’ai découvert ce film sublime en étant juré au Festival International des films de femmes de Créteil. C’est un documentaire qui m’a beaucoup inspiré pour Bye bye Tibériade, même si nos films n’ont rien à voir ni dans la forme, ni dans le contenu. Mais c’est sa liberté du dispositif narratif qui m’a marqué. Payal Kapadia transpose en noir et blanc des images contemporaines pour les transformer en archives ou utilise la relation épistolaire comme structure de narration, ce qui est un pari. Le résultat donne un film très fort sur un sujet important : l’islamophobie en Inde et les attaques d’étudiants musulmans. Elle le traite à travers une histoire d’amour avec une sensibilité qui m’a bouleversée et qui m’a été confirmée par All we imagine as light, son film suivant.

J’aime aussi qu’elle soit passée du documentaire à la fiction tout en gardant quelque chose du documentaire et en créant des personnages de femmes complexes. Ses personnages existent en gardant des traces de leur culture sans être conservatrices. Et si les femmes se jugent entre elles, ses héroïnes surpassent cela pour créer du lien.

Enfin, l’image est hyper belle, et Payal Kapadia a utilisé de nombreux morceaux que j’adore pour sa bande-son, à savoir ceux de la pianiste éthiopienne Emahoy et plusieurs morceaux d’un compositeur haïtien, Frantz Casseus. 

5- Life on the CAPS, trilogie de Meriem Bennani (2018-2022)
Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Life on the CAPS de Meriem Bennani

Meriem Bennani est une artiste contemporaine marocaine installée aux Etats-Unis, une vidéaste qui fait de l’animation 3D.Dans ses films, elle introduit un personnage, un lézard ou un crocodile, qui représente l’immigré, l’exilé. Elle filme sa famille en 3D, intègre des éléments de science-fiction et bouscule avec ces éléments de narration et de langage les habituelles représentations des personnages maghrébins. Elle est en train de finir son premier long métrage, un film d’animation dont le personnage principal est une coyotte queer qui cherche sa place à travers les décors de New York et du Maroc.

Je suis passionnée par les mondes qu’elle bâtit, par les histoires très sensibles qu’elle imagine sur de la musique raï.

 

Enfin, j’aime beaucoup le travail de Joana Hadjithomas et de Khalil Joreige, ce couple libanais qui croise l’art contemporain, le documentaire et la fiction en explorant des formes différentes.

Cinq prestations d’actrices inoubliables

1 – Anna Magnani dans Mamma Roma de Pier Paolo Pasolini (1962)
Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Anna Magnani , intense dans Mamma Roma de PPPasolini

Une actrice puissante, déchirante, un pilier qui tient tout le film. Et cela, sans répondre aux attentes esthétiques imposées aux actrices italiennes de l’époque. Elle dégage un magnétisme d’une force extraordinaire.

Mon père me l’a fait découvrir très jeune et je m’en souviens car elle me faisait penser à ma mère. Comme Irene Papas d’ailleurs.

2 – Irene Papas dans Zorba le grec de Michael Cacoyannis (1964)
Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Irene Papas dans Zorba le grec

Dans une scène du film, Irene Papas arrive dans un café, sous la pluie, couverte d’un voile noir, et fait face à tous ces hommes qui lui ont volé sa chèvre. Sa puissance est hallucinante.

3- Hiam Abbas dans Les Citronniers d’Eran Riklis (2008)
Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Hiam Abbas dans Les citronniers d’Eran Riklis

La scène avec Irene Papas m’a toujours fait penser à celle des Citronniers dans laquelle ma mère, Hiam Abbas, s’oppose à des soldats israéliens qui ont mutilé ses arbres. Elle a le même mélange de rage et de dignité.

4- Penelope Cruz dans Volver de Pedro Almodovar (2006)
Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Penelope Cruz dans Volver de Pedro Almodovar

Ou dans tous les films d’Almodovar dans lesquels elle joue ! Penelope Cruz est extraordinaire dans ce qu’elle interprète de la femme. Elle est aussi crédible en femme au foyer de milieu populaire qu’en citadine très moderne qui sort avec des mecs ou des filles, qu’en fille, en sœur, en tante… Elle est multi-facettes, interprète tout parfaitement, garde une énergie marquante sans prendre la place mais au contraire, en permettant à tous ses partenaires de jeu d’exister complètement.

5- Kate Winslet dans Holy Smoke de Jane Campion (1999)
Les tops 5 de Lina Soualem, prix Alice Guy 2025- Cine-Woman
Kate Winslet avec Harvey Keitel dans Holy Smoke

Elle s’impose dans cette liste car je ne l’avais jamais vue dans ce type de film. Kate Winslet parvient à se délester de tout jugement et en devient extrêmement touchante.

©Louay Nasser / Thomas Bremond / Beall productions/ Norte/ Missing Films/ Ocean Films
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