Rémi Chayé
Une héroïne pour son premier film, une équipe mixte… Rémi Chayé, le réalisateur de Tout en haut du monde, dénote dans ce milieu masculin. Il s’en explique à Cine-Woman.
« La parité homme/femme ? Une question de qualité de travail »
Pour son premier long métrage, Tout en haut du monde, le réalisateur Rémi Chayé a choisi une héroïne. Une révolution pour cet habitué des projets ambitieux (mais masculins) tels L’ïle de Black Mor de Jean-François Laguionie ou Brendan et le secret de Kells de Tomm Moore.
Une ligne qu’il a aussi tenue en exigeant que son équipe soit paritaire et qu’il poursuivra sur son prochain projet consacré à Calamity Jane. Il s’en explique.
Quand la scénariste Claire Paoletti vous a parlé de son projet, il ne tenait qu’en quelques lignes. Qu’est-ce qui a vous a décidé à vous embarquer?
Rémi Chayé : Que le personnage principal soit une fille ! J’avais envie d’héroïne, une jeune femme poussée par sa volonté et ses valeurs, mais pas par des super pouvoirs. Claire pariait qu’une jeune adolescente pouvait intéresser des enfants plus jeunes, fille ou garçon.
Est-ce le cas ?
Ce serait bien que le public ne soit pas exclusivement féminin ! Comme c’est un film d’aventures, on espère qu’il plaira aussi aux garçons. Mais c’est vrai que les réactions les plus enthousiastes viennent surtout des filles.
Une héroïne, c’est si rare que ça ?
Dans le dessin animé, oui. C’est dommage ! Je suis déjà en train d’écrire mon deuxième film et là encore, ce sera une autre héroïne : Calamity Jane. J’en propose une lecture plutôt féministe !
Vous êtes un convaincu ! L’animation est-elle si masculine ?
Quand même ! J’ai aussi imposé la parité dans mon studio de production : je voulais qu’il y ait autant de femmes que d’hommes et surtout qu’on ne cantonne pas les femmes aux tâches répétitives ou de simple exécution, les moins bien payées donc. J’ai exigé que les dessinateurs d’animation qui donnent l’intention, l’âme et le mouvement au dessin soient des deux sexes.
Et avez-vous obtenu gain de cause?
Sur certains postes, la parité n’a pas été possible. Mais, en moyenne il y a avait au studio 19 filles pour 17 garçons.
Pourquoi cette volonté ?
Pour moi, c’est la meilleure façon de travailler. J’ai connu des studios où il n’y avait que des garçons et ça crée ce que ça crée à chaque fois : les garçons entre eux, ça sent des pieds et ça fait des blagues grivoises ! Je m’y sens moins bien. Pour moi, c’est une question de qualité de travail.
Un autre de vos engagements, Rémi Chayé : réaliser votre film en France. Cela a-t-il été possible ?
Le film a été fait à 85% en France, à Paris, en Alsace, en Aquitaine et en Charente et à 100% en Europe, au Danemark notamment. Comme ça coûte plus cher, ca oblige à faire des choix qu’on a transformés en contrainte créative.
C’est-à-dire ?
Animer, ca veut dire donner une âme, c’est-à-dire faire appel à sa sensibilité, intérioriser les personnages… Or, les différences culturelles avec les dessinateurs asiatiques finissent par poser problème : leur gestuelle n’est pas celle d’ici, leur rapport au dessin non plus, et je ne parle même pas du rapport de force lié aux salaires !
Quel était votre budget et qu’avez-vous sacrifié pour le tenir ?
Nous avions 6 millions d’euros. Nous n’avons rien sacrifié, mais nous avons travaillé autrement. Liane-Cho Han qui a supervisé l’animation a mis au point une technique économique, inspirée du dessin animé japonais, pour donner une expression très forte en réduisant le nombre de dessins. A l’opposé de ce que fait Disney.
Autre exemple, le début du film est conçu comme une succession de tableaux liée au souvenir. C’est un contrat que je passe avec le spectateur, une façon de le préparer à ce qui l’attend. Si nous avions animé les foules (ce qui aurait coûté plus cher), la suite aurait semblé trop fade. Là, je sollicite d’emblée son imagination.
Pourquoi avoir choisi une héroïne russe ?
L’histoire est née d’une fulgurance créative : l’envie d’un film sur une jeune fille blonde qui part à la recherche de son grand-père perdu dans la banquise. Sacha vit à St Pétersburg, une ville dont on utilise les couleurs pastel et les dorures pour montrer qu’elle est une petite aristocrate bien née et pour sa proximité géographique, puisqu’elle la quitte pour un port sibérien puis pour la banquise.
Votre film parle de la conquête du Pôle Nord… qui en s’est pas du tout passée comme vous le racontez !
C’est vrai qu’elle n’est ni russe, ni datée cette époque-là. Mais on rectifie la vérité à la toute fin du générique en faisant s’envoler le drapeau planté. Officiellement, le Pôle Nord n’a été découvert qu’en 1968, même si pas mal d’explorateurs ont revendiqué sa conquête dès la fin du XIXème siècle sans jamais en apporter de preuves tangibles.
Votre film propose de forts partis pris. Musicaux tout d’abord.
Je ne voulais ni musique russe, ni de musique d’époque ou d’épopée à l’américaine, mais un contrepied comme le font Jim Jarmusch ou Sofia Coppola, une partition contemporaine familière aux jeunes d’aujourd’hui. La composition de Jonathan Morali, un musicien pop folk français que j’adore, correspond parfaitement.
Graphiques, ensuite.
J’ai demandé à Patrice Suau, le décorateur et peintre en animation du Jour des Corneilles, de renforcer le style pictural que j’avais imaginé en peignant sur Photoshop. En partant de surfaces plates et en saturant les couleurs, il parvient, comme un affichiste, à fabriquer un univers simplifié mais réaliste.
Vous prétendez pourtant que le style graphique est apparu le jour où vous avez supprimé les contours ?
C’est vrai, j’avais commencé par délimiter les personnages avec des lignes très tendues. Le jour où je les enlevés, ça a fait tilt ! Non seulement, ça a supprimé l’effet plaqué sur le décor, mais on a pu jouer sur leur lumière.
Cela ne risque-t-il pas de limiter les expressions humaines ?
Je ne crois pas. C’est même un des points forts du film. Les émotions passent et sont parfois plus réalistes qu’avec des traits. Sacha a beau être une blonde au visage pâle aux yeux clairs, son regard et sa bouche sont expressifs.
La fin est très ouverte. On a envie de savoir ce que Sacha va devenir, surtout que la Révolution russe s’annonce.
Pour moi, il n’y a pas de suite ! On a imaginé, écrit, story-boardé plein de fins possibles, mais aucune n’était satisfaisante. Soit cela multipliait les fins et brisait le rythme de l’histoire, ce qui est un problème récurrent des dessins animés ; soit chaque fin réduisait la quête initiale de Sacha. Là, on comprend qu’elle a choisit l’humain, la vie, et en cela, elle est plus forte que son grand-père.
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