Les Assises 2021 du Collectif 50/50
Le Collectif 50/50 a tenu les Assises 2021 pour l’égalité, la parité et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel le lundi 6 décembre. L’occasion de dévoiler les premiers résultats d’une étude inédite et passionnante sur les représentations à l’écran, de faire le point sur les avancées et les chantiers, encore nombreux, à mener.
Parité, égalité, diversité : épisode 4
Il semble loin le temps où l’auditorium du CNC suffisait à contenir le public, en grande majorité féminin des premières Assises du Collectif 50/50. Aujourd’hui, et malgré la pandémie qui impose ses restrictions et la diffusion en direct sur les réseaux sociaux, elles ont besoin d’un théâtre, d’une organisation au cordeau, d’une présentation enjouée de deux journalistes, Victoire Tuaillon (du podcast Les couilles sur la table) et Nora Bouazzouni.
Pas d’intervention d’une ministre cette année, encore moins du président du CNC (et pour cause, il est mis en examen dans une affaire d’agression sexuelle sans se mettre en retrait le temps de l’enquête malgré les demandes du Collectif 50/50, ce qui a été rappelé lors des Assises 2021), ni de star qui raconte son passé de fillette puis d’actrice abusée… Et pourtant, le contenu de la journée a été, une fois encore, riche, dense, intelligent et intéressant. Et le public, de plus en plus mixte au fil des années, toujours aussi réceptif aux débats. A vrai dire, on sentait même qu’il aurait volontiers plus partagé ses avis, opinions et expériences. Mais la densité du programme du jour ne laissait pas beaucoup de place à ses interventions.
Qui peuple le cinéma français ?
Le principal temps fort de ces Assises 2021 a été la révélation, en démarrage de la journée, des premiers résultats d’une étude passionnante sur les représentations. Qui peuple le cinema? ont interpellé les deux universitaires, Maxime Cervulle, professeur à Paris VIII et Sarah Lécossais, maitresse de conférence à l’Université Sorbonne Paris Nord (LabSic+), en charge de cette enquête baptisée Cinégalités. Sans surprise, on peut répondre facilement : un homme blanc cisgenre, hétérosexuel, parisien et CSP+, truste à peu près tous les postes devant et derrière la caméra, et souvent dès l’écriture.
Mais, évidemment, les résultats sont beaucoup plus fouillés et méritent qu’on s’y arrête. Sur les 115 films et 1591 personnages analysés – ce qui correspond aux 100 fictions françaises les mieux financées, croisées avec les 100 films ayant eu le plus de succès en salle en 2019 -, voilà la conception de la société française telle qu’elle est construite et diffusée sur les grands écrans :
- 38% des personnages principaux sont des femmes quand elles représentent 52% de la population totale
- Si la parité est à peu près atteinte quand les personnages ont entre 20 et 34 ans, les femmes ne représentent que 12% (!) des 50-64 ans. Une ignominie que combat avec vigueur le mouvement AAFA-Tunnel des 50
- 81% des personnages principaux sont perçus comme blancs
- Là encore, la diversité est plus forte sur les tranches d’âge les plus jeunes et elle décroit rapidement avec l’âge,
- Un personnage non blanc a trois fois plus de chance d’être un homme qu’une femme, de commettre un crime que s’il était blanc et d’être délinquant s’il est perçu comme musulman,
- Seulement 6% des personnages sont handicapés contre 18% de la population française et ils sont blancs à 94%!
- 95% des personnages principaux sont identifiés comme hétérosexuels ; les 3% bisexuelles étant plutôt des femmes cadres blanches vivant en union libre tandis que les 2% d’homosexuels sont des hommes blancs aussi, parisiens et célibataires.
- enfin, un personnage de femme sur 2 est dénudé à l’écran contre moins de 40% des hommes.
La disproportion la plus forte (par rapport aux données générales établies par l’INSEE) reste celle de la catégorie socio-professionnelle. Au cinéma, plus de la moitié des personnages principaux sont CSP+ quand ils ne représentent que 18,6% de la population française.
L’origine géographique est aussi préoccupante puisque 26% des films sont identifiés comme tournés à Paris et aucun en Pays de Loire ou dans les DOM TOM. L’étude par genre cinématographique laisse apparaître que la comédie reste le genre le plus ouvert aux femmes et aux non blancs.
Qui imagine le cinéma français?
Quand on s’intéresse aux auteurs des films, 80% de l’échantillon retenu revient à des réalisateurs, à 60% à des producteurs, à 57% à des scénaristes hommes et à eux seuls. Au total, 88% de ces films ont été écrits par au moins un homme. Or, on constate que la proportion de personnages féminins augmente dès qu’une femme est à la réalisation, à la production et à l’écriture. Pourtant, les 15 films les plus financés ont tous été réalisés par des hommes, et seulement 13% écrits par des équipes mixtes. Les 15 films les plus vus offrent une diversité de talents un peu plus variés qu’il s’agisse de femmes ou de non-blancs.
Rien que ce que l’on supposait déjà ? Certes, mais pour la première fois, le ressenti est validé par une étude universitaire, avec une méthodologie éprouvée et des données chiffrées finement analysées. Ce qui est déjà la cas à la télévision grâce à une étude récurrente menée par le CSA depuis 2018 sur l’ensemble des émissions programmées (flux comme fictions). D’ailleurs, les deux universitaires présents ont bien expliqué que ces résultats n’étaient que partiels et qu’ils allaient désormais s’atteler à affiner ces représentations en observant de plus près la répartition du travail domestique à l’écran ou encore le poids de la religion, quand c’est analysable. Les résultats complémentaires devraient être disponibles fin janvier 2022 et gageons qu’ils seront à la hauteur de ces premières données en rappelant toutefois que le cinéma n’a pas vocation à refléter parfaitement le réel, puisqu’il est, ici, fiction. Mais s’en éloigner autant comporte un risque fort de se couper d’un public potentiel et donc de grandes sources de revenus.
Renouveler les scénaristes
Le Collectif 50/50 a déjà imaginé une solution très pragmatique pour faire bouger ces statistiques déprimantes : la Bible 50/50, cette plateforme mise en place pour varier justement les talents à et derrière l’écran, dont une présentation rapide a suivi. On peut y déposer son CV mais aussi y recruter pour un projet.
L’accent a été ensuite porté sur le métier de scénariste, métier d’écriture du cinéma, souvent mal cerné mais qui pourrait être à l’origine d’un élargissement des regards… s’il n’était pas si précaire et fragilisé par l’absence d’un réel statut. Ce que des organisations professionnelles – le Syndicat des Scénaristes de Cinéma Associés-SCA ou la toute nouvelle Cité européenne des scénaristes – s’attèlent à lui donner. Ce débat a aussi été le moyen de mettre en avant le programme de mentorat lancé par le Collectif 50/50 afin de faciliter l’arrivée de nouveaux entrants dans le métier, dans un secteur qui recrute par le bouche à oreille ou la notoriété. A entendre Pauline Rocafull, scénariste et présidente de la Cité européenne des scénaristes, sur une période allant de 2009 à 2017, 17% des scénaristes ( dont 80% d’hommes) avaient écrit à eux seuls 77% des épisodes de séries TV françaises diffusées. Ce qui explique évidemment la monochromie des représentations décrites par l’étude Cinégalités.
Et en Europe ?
Fabienne Silvestre, la co-fondatrice et coordinatrice générale du think tank Lab Femmes de cinéma, est ensuite venue partager les résultats de son étude évolutive sur les réalisatrices dans le cinéma européen, dont les résultats complets seront dévoilés aux Arcs Film Festival dans une dizaine de jours. Dans les 38 pays sollicités dont 32 répondants, la part des films réalisés par des femmes est, à nouveau mais timidement, à la hausse. Après les mauvais résultats de 2018 qui voyait leur proportion tomber à 19%, celle-ci atteint en 2020 un 23% décevant, encore trop éloigné des 50% escomptés. Avec comme d’habitude, un mieux dans les pays du Nord, des chiffres catastrophiques dans le Sud – en Italie et en Grèce notamment – et une France qui se situe dans la moyenne. Comme toujours, la proportion de femmes cinéastes baisse quand le budget de production augmente. Elles sont donc sur-représentés dans le documentaire (29%), moins dans la fiction (19%). En revanche, elles s’installent dans l’animation avec un beau score inédit de 16% ! Rappelons que sur les 32 pays qui ont répondu, seuls 10 seulement ont mis en place des politiques incitatives de quotas, la plupart du temps qualifiés de soft (comme les bonus français).
Autre initiative du Collectif 50/50, la campagne Characther qui ambitionne, à travers l‘Europe de dénicher des rôles-modèles, notamment dans des métiers dont la part de femmes les exerçant ne dépasse pas 30%. Notons à ce propos, le faible taux de rédactrices en chef dans les médias qui plafonne à 22%… Pour mémoire sont considérés comme féminins les métiers (avec plus d’un tiers de représentantes) des costumes, coiffure, maquillage, casting ou scripte ; comme mixtes les métiers du montage, de la décoration ou de direction de production. Tous les autres sont tenus à plus de 30% par des hommes.
Les Assises 2021 c’est aussi éduquer les regards
Comment changer les regards? En commençant très tôt ! Sur les plus de 1,7 million d’élèves à bénéficier d’un des trois dispositifs d’éducation à l’image à l’école, au collège ou au lycée, rares sont ceux à avoir vu ou à voir prochainement des films de réalisatrices. Sur 289 films proposés en 2021, 247 étaient dûs à des réalisateurs et entre un tiers et la moitié passaient le fameux test de Bechdel. Enfin, parmi la soixantaine de films de patrimoine restaurés par le CNC, 10% étaient des couvres de réalisatrices en 2018, 3% en 2019 et 0 en 2020 ! Ce n’est donc pas demain la veille qu’Alice Guy trouvera sa place au Panthéon des jeunes cinéphiles même si la diffusion de Madame a des envies a encore une fois suscité l’enthousiasme, comme le Prix qui porte son nom !
Prévenir les violences sexuelles et sexistes
La suite de la journée a été consacré aux violences sexuelles et sexistes, à l’arsenal juridique à disposition, aux conseils à agir quand on en est témoin sur un tournage et au rappel du Livre Blanc mis en place l’an dernier.
La journée des Assises 2021 s’est conclue par un débat ouvert prometteur mais décevant sur la nudité à l’écran du fait non pas de la qualité des intervenants mais de la méconnaissance des particularités des métiers du cinéma par l’animatrice. Elle a largement donné la parole à une invitée irlandaise, Ito O’Brien, qui témoignait de son nouveau métier de coordinatrice d’intimité, qui n’existe pas encore en France mais qui semble susciter des vocations, sans toutefois que le témoignage de celle-ci dépasse les généralités. Sur le plateau, les invités prêts à témoigner des ambiguïtés françaises sur le sujet étaient pourtant légion. On aurait aimer creuser la prise de parole de la directrice de casting et du comédien des Olympiades de Jacques Audiard – par exemple sur la différence d’âge entre l’acteur de 34 ans et l’actrice de 20 ans – , continuer le débat sur le consentement tel qu’il a été lancé par la salle, interroger plus profondément la représentation du sexe à l’écran avec les réalisatrices Ovidie et Danielle Arbib, et sur la manière différente qu’elles pouvaient avoir de filmer le sexe. Ou éventuellement avoir l’avis d’un chef op sur le sujet. C’est manifestement un sujet central qui mérite sans doute que le Collectif 50/50 y revienne.Quoi qu’il en soit la journée a été copieuse, passionnante, enrichissante. On ne saurait encourager le Collectif 50/50 et tous les intervenants à poursuivre leur travail de «compter les femmes pour que les femmes comptent », selon la formule de Fabienne Silvestre. La conclusion de la journée revenant toutefois à la productrice Julie Billy, co-présidente du Collectif 50/50 : « Seule, on est invisible. Ensemble, on est invincible ».