L’histoire de ma femme
La réalisatrice Ildiko Enyedi nous a souvent ébloui. Avec L’histoire de ma femme, elle dissèque comment un homme amoureux ne sait que détruire ce qu’il chérit. Subtil et envoûtant.
Dans la tête du mari
Un capitaine au long cours se languit. Après ses longues escapades en mer, il s’ennuie à retrouver la terre ferme. Un membre de son équipage lui conseille de se marier. Jakob acquiesce en refusant d’avoir la moindre illusion : son travail primera, l’emmènera pour de longs séjours hors de son foyer, et il ne sera pas en mesure de juger le comportement à terre de sa femme.
D’ailleurs, il mise si peu sur ce mariage qu’il propose à la première venue de l’épouser. Il tombe sur Lizzy, une belle femme mystérieuse qui relève élégamment le pari qu’il propose. Ils se marient aussitôt. Mais Jakob finit par tomber amoureux. Ainsi se joue L’histoire de ma femme, le septième long métrage de la réalisatrice hongroise Ildiko Enyedi à qui l’on doit l’extraordinaire Corps et âme, Ours d’Or à Berlin en 2017.
L’amour, l’amour…
La mer l’attire moins, et Jakob finit par se demander quelle vie mène sa femme lorsqu’il est loin d’elle. Elle vit, tiens, et on n’en saura pas grand chose d’autre. Sinon qu’elle a une bande d’amis proches qui la distraient depuis longtemps.
Jakob ne le supporte plus et refuse de reprendre la mer pour rester auprès d’elle. La jalousie commence à le ronger, son désir de possession aussi. Sa femme n’en tient pas vraiment compte et continue à se comporter telle qu’elle est : élégante, raffinée, agréable en société. Convaincu qu’elle lui échappe, il se met à la tromper. Rien n’y fait. Jakob est en proie à ses propres démons qu’aucune réponse, aucun comportement de sa femme ne sauront jamais viagra online satisfaire.
L’histoire de ma femme ou l’analyse de la possession masculine
Jamais, la manière dont un homme amoureux se comporte aura été aussi subtilement analysé. D’un jeu – le pari – qu’il transforme en mariage, Jakob, bel homme plutôt gâté par la vie, fait de son amour un enfer. Pour lui, tout d’abord : par esprit de possession qui n’a rien à voir avec l’amour, il se met à douter des sentiments et du comportement de sa femme. Tout seul, dans sa tête. Il devient d’abord jaloux, puis presque fou quand il comprend qu’il n’a pas de prise sur elle.
Ildiko Eynedi ne perd jamais – et malgré les quasi 3 heures de film – le point de vue de Jakob. L’histoire de ma femme nous est racontée à travers ses yeux. Et on se saura donc que ce que Jakob sait ou croit savoir. Jamais elle ne justifie ses ressentiments en livrant des informations sur sa femme. Le trompe-t-elle? L’aime-t-elle? Les questions et les doutes de Jakob priment toujours sur la réalité. Et on assiste ainsi à la destruction d’un mariage entièrement orchestrée par l’esprit fragilisé d’un homme qu’aucune réassurance ne vient apaiser.
Une cinéaste au talent hors pair
Certains scènes sont éblouissantes : la rencontre, les échanges amoureux et sexuels dans l’appartement du couple, magnifiquement éclairés, les départs en mer et surtout la séquence qui précède un moment crucial où Jakob hésite lorsqu’il est sur un pont. Et les acteurs – Léa Seydoux et surtout Gijs Naber, comme les décors et les costumes – sont époustouflants.
Ildiko Enyedi, qui adapte ici le roman éponyme du hongrois Milan Füst, prouve, après l’extraordinaire Corps et âme qui lui a valu l’Ours d’or à Berlin en 2017 qu’elle est une immense cinéaste, une des plus grandes de son époque. Dommage que le jury du 74e Festival de Cannes soit passé à côté de sa si subtile capacité à interroger l’Amour avec un grand A et les désastres de l’incommunicabilité dans un couple.
L’histoire de ma femme d’Ildiko Eynedi avec Léa Seydoux, Gijs Naver, Louis Garrel, Sergio Rubini, Jasmine Trinca….
2021 – Hongrie – 2h49
L’histoire de ma femme d’Ildiko Eynedi était en Compétition officielle au 74e Festival de Cannes. Il n’a pas été récompensé mais sortira le 16 mars 2022.