L’Interview de Farid Bentoumi

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Le réalisateur Farid Bentoumi s’est confié à Cine-Woman à propos de Rouge, son second long métrage, toujours avec Sami Bouajila.  Rencontre avec Sylvie-Noëlle, envoyée spéciale au FIFIB 2020.

« Le courage du lanceur d’alerte est au centre de Rouge »

Rouge, le second long métrage de Farid Bentoumi, est bien différent de son premier Good Luck Algéria. Il y retrouve toutefois  l’acteur Sami Bouajila. Le réalisateur a confié à Cine-Woman la façon dont est né ce deuxième projet mais aussi son héroïne. Il parle ensuite du sexisme et de sa confiance faite à l’intelligence du spectateur pour saisir son propos.

L'interview de Farid Bentoumi - Cine-Woman
Farid Bentoumi, la réalisateur de Rouge

Pour Rouge, quelles ont été vos sources d’inspiration ?

Farid Bentoumi : Je me suis inspiré de plusieurs faits réels, de lanceurs d’alerte et de rejets de déchets toxiques par des usines. Et de l’expérience de mon père et de mon oncle en tant qu’ouvriers et délégués syndicaux dans le monde de l’industrie.

L’héroïne de Rouge était au départ un héros. Pourquoi avoir changé ?

F. B : J’avais écrit avec mon scénariste Samuel Doux un premier traitement avec une relation père-fils. Il s’est vite transformé en père-fille tant j’avais envie de travailler avec Zita Hanrot (Nour). Elle est aussi solaire et a la même énergie que Sami Bouajila (Slimane). Je trouve le couple qu’ils forment magnifique. J’ai aussi réécrit pour Céline Salette (Emma), en intégrant au personnage sa grossesse. J’avais envie qu’elle se sente à l’aise et qu’elle fasse sien ce film. Au départ, elle avait une histoire d’amour avec le jeune garçon de 20 ans. Leur différence d’âge de 12-15 ans m’intéressait. Et, comme il était aussi un peu plus naïf, elle l’aidait à s’affirmer dans sa famille à la fois politiquement et face au père.

Qu’avez-vous modifié quand le personnage est devenu une fille ?

F.B : J’ai changé le prénom mais rien au texte. Sauf les scènes de rapports physiques pendant les engueulades avec le père et le beau-frère. Le contact physique avec une femme raconte vraiment autre chose.

On vous aurait conseillé de rendre votre scénario sexiste, une fois le héros devenu une héroïne. Qu’en avez-vous fait ?

F.B : J’ai, au contraire, souhaité ne pas sur-féminiser le rôle et éviter ce thème-là.  Je n’avais ni envie, ni besoin que les ouvriers s’adressent à Zita en lui disant : « Tu es mignonne ». J’estime que le regard du spectateur est suffisant et sexualise le rôle. Il  la voit comme une femme qui s’impose dans l’usine, se rebelle contre un milieu d’hommes, contre son père, et qui a le courage d’une lanceuse d’alerte. J’en ai encore plus pris conscience quand Zita Hanrot a enfilé les tenues de travail. La grossesse d’Emma n’est pas un problème non plus puisque les femmes enceintes bossent en général jusqu’au congé de maternité, à 8 mois de grossesse. Surtout, elle est journaliste avant d’être une femme enceinte.

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Céline Sallette (Emma) la journaliste qui enquête sur la gestion des déchets de l’usine

Est-ce important de définir vos personnages par leur métier ?

F. B : Nos métiers nous définissent. Le revendiquer c’est peut-être cela faire du cinéma social. Good Luck Algéria, mon premier film,  était une comédie qui traitait de l’identité. Rouge est un thriller écologique et une histoire de famille. Une sorte d’Erin Brokovich à la française. Je viens du monde des usines, je porte ces histoires. Mais, j’ai tout de même fait lire mon scénario à mon oncle délégué syndical, à une amie journaliste, à une infirmière pour avoir des précisions sur tous les domaines.

Farid Bentoumi, vous abordez de façon subtile les origines de Slimane et Nour.

F.B : Ma modernité est de créer des personnages qui s’appellent Slimane et Nour mais sans accent arabe et sans les faire manger du couscous à tous les repas. Je m’appelle Farid, mon frère est ingénieur. On  ne se pose pas tous les matins la question de l’intégration. Beaucoup d’ouvriers maghrébins sont d’ailleurs délégués syndicaux.

Rouge est-il un film sur la place qu’on ose prendre ?

F.B : Oui. Et d’ailleurs la première version du film qui se passait chez les éboueurs s’appelait Reste tranquille. Parce que le père disait ça. Slimane répète à Nour : « Tu ne peux pas comprendre ». Ça décuple sa force car elle se rebelle en tant que jeune femme, en tant qu’infirmière face aux médecins qui ont plus d’autorité qu’elle, en tant qu’arabe face à un Front National de plus en plus présent. Ce noyau familial plein d’amour et solide, dans lequel tout le monde peut se projeter, sera d’autant plus difficile à faire exploser.

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Nour (Zita Hanrot) face à son père Slimane (Sami Bouajila)

Rouge est-il un film politique ?

F.B : Mes personnages sont tous engagés. Ce qui m’intéresse c’est de raconter que tout est imbriqué : le cynisme et l’impuissance des politiques, la période électorale avec les interventions de la maire du village et du député écolo durant laquelle la commission ne contrôle rien. L’écologie politique est un mouvement d’avenir en France. Donc oui mon film est politique. Et j’aimerais que les gens sortent du film en ayant envie de combattre et de s’engager pour leurs idées, de lancer l’alerte. J’ai un message sans en avoir un. J’aime bien dire que chacun a ses raisons, et même si Slimane se bat quand même, pour ses collègues et les salariés, c’est bien le courage du lanceur d’alerte qui est au centre du film.

Propos recueillis par Sylvie-Noëlle

La sortie de Rouge de Farid Bentoumi, initialement prévue le 25 Novembre 2020, est reportée au 11 août 2021. Rouge bénéficie du label #Cannes 2020.

© Les films Velvet/ Les films du Fleuve
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