Un amour impossible
Un amour impossible est le titre polysémique du dernier roman de Christine Angot. Celui-là même que Catherine Corsini porte à l’écran. Il était temps que ces deux-là se confrontent. Pour le meilleur.
Destins de femmes
Un amour impossible, c’est d’abord celui que Rachel (qui figure la mère de Christine Angot) porte à un homme fuyant, Philippe. Elle le rencontre dans une cantine qu’ils fréquentent tous deux, à Châteauroux, où elle est secrétaire, lui militaire. Elle est belle, il est éduqué. Elle croit en lui, elle l’admire. Il n’a pas l’intention de s’engager : elle n’est pas assez riche, assez bien pour lui.
N’empêche, leur relation perdure de manière épisodique mais régulière. Elle l’attend, espère qu’il l’épousera. Il est fuyant mais revient toujours. Rachel finit par tomber enceinte d’une petite fille Chantal (Christine Angot). L’enfant n’y fera rien. Philippe lui refuse le mariage, il en épouse même une autre et ne s’intéresse que de loin à sa fille.
Se contenter de peu
Qu’importe. Rachel se contente du peu qu’il lui offre. Sans trop le juger. Elle tient toutefois qu’il reconnaisse Chantal. Ce qu’il finira par faire. Mais à quel prix. Quand Chantal devient adolescente, leur relation à tous évolue. La jeune fille est d’abord charmée par ce père absent, charismatique, éduqué. Elle n’est pas la fille de n’importe qui. Rachel aussi est fière de cette relation qui semble les enrichir mutuellement mais qui s’avérera des plus toxiques.
Elle continue à assurer le quotidien. Elle est promue dans son métier, prend des responsabilités sans toutefois jamais gagner la confiance en elle qu’une relation épanouie aurait pu lui apporter. Elle ne s’est pas sacrifiée, seulement convaincue qu’un tel amour ne pouvait être qu’impossible. Comme si elle ne le méritait pas.
Un père impossible
Lui aussi le trouvait impossible cet amour, au point de l’avoir entretenu certes mais en le tenant à distance puis en l’entachant de la pire des façons. Mais, le film est concentré sur le point de vue de Rachel et ne livrera aucune explication -à peine une rapide confrontation avec la famille du père- au comportement du père.
Le méritait-il seulement ce père, coupable du pire, du pire des amours impossibles qu’il impose à sa fille? Ce n’est que quand Rachel aura connaissance de cet inceste qu’elle parviendra à rompre, définitivement et à refaire sa vie. Mais, c’est désormais l’amour entre la mère et la fille qui est devenu impossible.
Un amour impossible ou le destin romanesque d’une petite française moyenne
Formidable destin d’une femme simple, enfermée dans les mœurs de son époque et dans la faible croyance qu’elle a en ses propres capacité, Un amour impossible est le témoignage d’une conception de la vie, de l’amour que des femmes -majoritaires peut-être, nombreuses en tous cas- ont eu et ont peut-être encore. Élevées à admirer les hommes, pour peu qu’ils aient un peu de bagout, de style ou de culture, elles se sont sacrifiées sur cet autel inatteignable alors même qu’elles valaient bien plus qu’eux. Pour rien, parfois même comme ici pour le pire.
Consciente de la dureté de son sujet, Catherine Corsini a choisi une réalisation, froide, presque clinique. A l’opposée du solaire La belle saison. Concentrée à 100% sur cette femme, elle lui redonne à elle comme à ses semblables la dignité qu’elles méritent alors même que la plupart des regards se dirige vers cet homme, ce salaud comme le définit Niels Schneider qui l’interprète. Catherine Corsini, en le laissant à la marge, redonne un juste centre de gravité à une histoire que l’horreur, le mal et le mâle ont déplacé. C’est judicieux, bien vu même si moins évident et moins spectaculaire. D’ailleurs sa réalisation contrôlée est surtout alerte et romanesque dans la première partie, avant que n’arrive le drame.
Le rôle d’une vie
Catherine Corsini disait au Festival d’Angoulême qu’elle y avait rencontré Virginie Efira et que cette rencontre avait aussi décidé du film. Elle est bien, Virginie Efira mais pas tout le temps. Plutôt crédible lorsqu’ elle joue la jeune fille, la jeune femme, elle manque un peu de confiance en elle quand elle vieillit. C’est dommage. Un amour impossible était une excellente occasion de montrer qu’elle est une très bonne actrice. Elle n’y parvient pas tout à fait, dissimulée derrière un maquillage épais qui brouille ses émotions contenues.
Mais le film, le parti pris parfaitement tenu de la réalisation, dans la reconstitution des années 1950 et la justesse du scénario compensent largement ses petites faiblesses. Un amour impossible est un film nécessaire en cela qu’il redonne un dignité à ces femmes ordinaires, cantonnées à des destins trop étroits pour elle qui auraient pourtant eu la force d’être de vraies héroïnes.
De Catherine Corsini, avec Virginie Efira, Niels Schneider, Jehnny Beth, Estelle Lescure, Pierre Salvadori, Didier Sandre…
2018 – France – 2h15
© Stephanie Branchu Chaz Productions